Archive pour la Catégorie 'Poèmes du mois'
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Tes longs doigts blancs couraient
Comme un cabri agile
Gambadant sur les blés,
Audacieux mais fragile.
On aurait dit la mer
Moutonnant en sa vague :
Ondulation calme et claire
Qui jamais ne divague.
Ton doigt plus que précis
Commandait à la houle
Des blancs et noirs glacis
Massés comme une foule
Sur le clavier fougueux
Que tu domptais des yeux.
Patiemment tes dix fées
Soumettaient leur délire
Avec leur tendre allié :
Ton délicieux sourire.
La musique dans l’air, au détour des venelles
Découpe les prisons et flotte à l’unisson.
Saute par les fenêtres, enroule tous les ponts,
S’impose. Dans les rues frémit la ritournelle.
Surgie des monuments, elle mène la danse
Aux arches deux violons entament Vivaldi,
Quatre saisons résonnent, au loin Don Giovanni
S’échappe des Etats, vêtu tout d’élégance.
Sous le pont Charles coule un vieux saxo jazzy
On scande «Let it be» en place du Marché
De langueurs étourdie elle plane charmée
«Isn’t she lovely» nous demande Stevie.
Sous le regard surpris des fantômes d’antan
La Nouvelle-Orléans se pose tout là-haut
Et de Saint Nicolas roule la Moldau.
Wolfgang, Bedrich, Anton, elle règne céans.
Praha, at žije Muzika.
Rêveuse assise contre la fenêtre,
Oubliant la symphonie qui éclate
Par toute la salle, je regarde
Le monde tranquille au-dehors,
Et les longs doigts feuillus des arbres,
Pianistes silencieux qui sans fin
Jouent sur les touches de verre
D’un clavier imaginaire.
Bénédicte Gandois Extrait du recueil Eclats (Editions de la Maison Rose, 2010, isbn: 978-2-940410-07-1)
L’été s’annonce enfin…
Il a pris tout son temps
À peaufiner, serein,
Son arrivée, céans…
Et le 21 juin,
C’est le jour du solstice !
La fête sera bien
À l’heure, en artifice !
Musique et puis flonflons
Et tout le tralala
Vont lui donner le ton
Justement ce jour-là !
Les Chorales répètent
En prévision, sereines.
Musique égale Fête ;
Et ce sera la Reine !
Partitions, instruments :
Retrouvons-nous bientôt
À la clé, car l’instant
Deviendra le plus beau…
Dans un même chœur,
Unissons nos voix,
Rapprochons les cœurs,
Et ouvrons la voie.
Tous, à l’unisson
Donnons le frisson…
Au souffle de nos voix,
Puisons dans les mots,
Embellis comme par magie,
Signons notre envie,
Au souffle de nos voix,
Ne respire plus,
Tente de décoder,
Embellis.
Un chemin d’étoiles,
Rêvé se dévoile.
Chanter,
Dans un même chœur,
Un lien qui nous unit,
Comme un chemin de vie,
Le regard sans erreur,
Donnons le meilleur !
Quand tu me déshabilles
Que tu dégrafes mon corsage
C’est comme un jazz
Quand tu me souris
Que tu caresses mon visage
C’est comme un jazz
Quand tes mains se font pressantes
C’est comme un jazz
Tu te mets à jouer avec mon corps quelques accords
C’est comme un jazz
Toi et moi on le joue à quatre mains.
Cette musique ouvre la nuit
Sur nos deux ombres éclatées
Avec une douce lumière, qui les fait vibrer.
Le regard de l’amour baigne alors nos yeux.
Un petit air qui colorie mon coeur en bleu.
Juste un jazz
Toi seul sait le jouer
Sur les cordes de mon corps
Cet air de jazz
Qui vient de commencer !
Où s’en vont-ils, les sons,
Vers quel méandre de quelle onde planétaire,
Tous les tapages de la ville théâtrale
Qui ne cessent de s’épandre,
Les sempiternels concerts
De complaintes, de soupirs et de râles ?
Où vont les sérénades tragiques,
Les chants, les voix et les musiques éteintes,
Vers quels oasis, dans quel désert ;
Et les flûtes, les violes, les cors,
Les gazouillis aussi des oiseaux morts,
Vers quelle nuée, dans quelle Olympe ?
Où finissent les hurlements des loups,
Les claquements des défilés de fusils
Et tous les coups de canon,
Le vacarme des guerres aux confins de la terre,
Et les cris, les cris des victimes,
Dans quel repère, dans quel abîme ?
Tous ces bruits seront-ils
Comme d’inépuisables notes
Dans d’innombrables accords,
Des notes dans le désordre qui seront livrées
Aux lèvres attirantes des vapeurs
Et se seront organisées
Pour se faire matières rythmiques et vibrantes
D’une ultime symphonie de stratosphère
Un matin de saphir, un jour d’apocalypse ?
De quelle invisible portée
Cette croche est-elle tombée
Avant de se perdre, courbée
Sur ta joue ?
Tu essaies de cueillir la note
De l’ongle d’un doigt qui tapote
Tandis que l’autre main pianote
Et me joue
Sans la virgule musicale
La mélodie un peu bancale
Qui boite aux courbes ancestrales
D’acajou.
Mais diésant une cabriole
La voilà soudain qui s’envole
Pour se fondre à la farandole
Qui s’ébroue
Au rythme d’une tarentelle,
Comme une gamme d’hirondelles
Posées sur les fils parallèles
Des soirs d’aout.
En souvenir de cette jolie pianiste qui, lors d’une ultime répétition avant le concert, tentait de se débarrasser d’un cil gênant tout en continuant de jouer de sa main gauche…
Dans un immense clos, royaume du platane,
Le matin s’appauvrit des nocturnes parfums ;
Une chorale ailée, en rythmes peu communs,
Allègrement distille une aubade occitane.
L’onde abyssale épouse une danse gitane,
Insensible aux accords des rivages cajuns ;
L’orbe stellaire irise à peine les embruns
Que soulève parfois la vive tramontane.
D’une invisible nef, notre ange troubadour,
D’échos harmonieux, tel un hymne à l’amour,
Au fil des jours séduit la frange léonine.
Tout son bonheur se fond où sa musique tend
Pour mieux griser d’un art une tendre ménine :
La mer ganse d’azur l’âme du Fou chantant !
Couché dans son écrin aux parois de velours,
L’instrument silencieux, sans la main qui le porte,
Figé dans une pause au long soupir d’escorte,
Prie pour qu’un musicien lui redonne son cours.
Quatre cordes tendues au bois du chevalet,
Guettent le frôlement de la mèche de crin
Pour que, dans l’excellence, un solo cristallin
Fonde la noire et blanche en un savant ballet,
Enlace, de concert, la quinte et puis l’octave,
La tierce débridée et la croche assurée
Et qu’en un jeu d’archet la note délurée
Descende de l’aigu pour vibrer dans le grave.
Les notes, en portée, au chant de la musique,
Altéré, “si” et “la”, d’un dièse ou d’un bémol,
Du monde universel, sur une clef de sol,
Ouvrent grande la voie au quart de tour magique.
Dans la ronde des temps, se décline la gamme
Que l’armure embellit d’un mineur ou majeur
Et quand le diapason instrumente le cœur,
L’âme dans le violon vient caresser notre âme.
L’esprit, en harmonie, est en ravissement
Dès qu’une main habile invite à l’ouverture
Car, sur l’accord parfait d’une juste mesure,
S’adoucissent les mœurs par un enchantement.
Lorsque mon ombre longiligne
Un jour aura franchi la ligne
Franchi la ligne d’horizon
De cette vie qui nous anime
Épargnez-moi les pantomimes
Les prières, les oraisons
Zonzon
Pas de sermons eucharistiques
Pas de litanies de cantiques
De « kyrie-eleison »
Mais quelques refrains romantiques
Quelques mélodies sympathiques
Pour me laisser au diapason
Zonzon
Que l’on me joue et c’est ma tare
Accompagnés par des guitares
De jolis concerts de chansons
Que l’on me chante pêle-mêle
Georges Brassens Claude Lemesle
David Mac Neil Renaud Souchon
Zonzon
Sur la tombe où l’on va me mettre,
Il n’y faudra ni dieu ni maître
Ni croix, ni croissant, ni blason
Mais que souffle un vent anarchiste
De mes vieilles amours gauchistes
Sur quelques mètres de gazon
Zonzon
Comme monument funéraire
Pour finir mon itinéraire
Que l’on me sculpte sans façons
En guise de pierre tombale
Une belle Harley qui trimbale
Le vieux motard dans son blouson
Zonzon
La fin de course sur la terre
Du vieux coyote solitaire
Attendra bien quelques saisons
Toujours présent dans la bagarre
Je ne suis pas encore en gare
Pas pour demain la crevaison
Zonzon
Suis pas pressé que l’on m’enterre
Pas pressé qu’on me fasse taire
Ni ma guitare et mes chansons
Où s’entremêlent l’espérance
La colère et la tolérance
La joie l’amour la déraison
Zonzon
Il faudra que la mort soit douce
Que pas trop fort elle me pousse
Pour me transformer en glaçon
Et que l’on défile à ma porte
Pour savoir que le vent m’emporte
Vers le néant sans rémission
Zonzon
Pour le condamné vers la mort
Mon dernier vœu sans un remord
Ma toute ultime inclinaison
C’est contre une femme lascive
Dans une étreinte convulsive
Consumer ma terminaison
Zonzon
Lorsque mon ombre longiligne
Un jour aura franchi la ligne
Franchi la ligne d’horizon
Que je reste dans vos mémoires
Par mes pamphlets par mes grimoires
Par mes refrains par mes Zonzons
Zonzon
Cette symphonie, telle un océan me lève et m’élève
au sommet de la vague
cette symphonie, comme un oiseau blanc
que pousseraient l’air et le vent
Si pure, si légère, cette symphonie vêt
ma mélancolie d’une aube printannière…
À l’archet sautillant, aux cuivres
qui s’imposent. Aux doigts agiles
sur les noires et blanches,
buvons ce vin pétillant dont les bulles
se parent d’harmonies
buvons à cette symphonie, océan de beauté
qui m’illumine l’âme…
Dansantes mandolines, cristallines cordes
effleurées, contrebasse qui chemine
à pas feutrés…
Cette symphonie,
je l’entends et je l’écoute
Puissant et bienfaisant,
c’est un vent qui m’emporte, quand il donne rendez-vous
c’est un souffle qui porte, tel un bel oiseau blanc
c’est Béla Bartók ou Anton Dvorák
c’est Ravel qui appelle…
Ils peuplent mon être, d’un bonheur crescendo
Infinité de torrents dont les eaux
ruissellent note à note, sur ma peau.
Extrait de « Huitième printemps » 2006
J’avais déjà choisi la branche du lilas
A laquelle accrocher l’instrument de musique,
Quelques tubes d’acier, assemblage magique
De trois fils de nylon en un doux entrelacs.
Du passage du vent naissait la mélodie,
Un refrain nuit et jour sans cesse inachevé,
Chant mêlé d’un soupir à mon cœur enlevé,
Concerto, symphonie ou douce rhapsodie.
Métronome joyeux de mon secret tourment,
Il berçait mon chagrin dans l’âme de ses notes,
Charmes ensorceleurs comme autant de menottes
Autour de tes poignets, garants de ton serment.
Mais un soir, souviens-toi, le gardien de mes rêves
A préféré se taire et le zéphyr en vain
Se faufile toujours, comme un souffle divin,
Jusque dans le plaisir d’espérances trop brèves.
Il me semble parfois dans le silence ouïr
Le glas de notre amour et l’angoisse me glace ;
Alors abandonnant mon crayon, je t’enlace,
Et mon corps par le tien se prépare à jouir.
(Extrait du recueil Du côté de tes Yeux – 2002)
Pour illustrer le thème de juillet, la musique, une adhérente m’a fait part d’une vidéo sur Internet. Les puristes n’apprécieront peut-être pas, mais la performance est tout de même étonnante.
Pourquoi donc la musique est douce à mon oreille
Alors que chaque son crissant des instruments
De la clique échauffée tressaille brusquement
En demandant pardon aux notes les plus vieilles ?
Et comment celle-ci navigue sans pareil
Aux confins les moins sûrs de mes pauvres tympans
Qu’un fort coup de canon écorcha en tirant
Au début d’une guerre n’existant pas la veille ?
Non, je ne comprends pas cette alchimie de l’air
Se formant dans l’émoi des cuivres aux feux d’enfer
Qui viennent m’assaillir plus encor’ que ma peine !
Et puis, ce roulement émouvant des tambours
Précédant le cri sourd d’un clairon qui se traîne
Me font comprendre alors mes funérailles en cours…
Des mots
Un dos qui fait do
Il a bon dos
Un rai qui fait ré
C’est une lumière
Un mie qui fait mi
La mie,l’amie
Un fat qui fait fa
Pas sans prétention
Un sole qui fait sol
Pour la faire meunière
Un las qui fait la
Parce que tout passé ,tout cassé,tout lui
Un sis qui fait si
Parce qu’ici n’est pas
Le premier poème sans musique
Place de la Gare, à Charleville.
Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu’étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.
L’orchestre militaire, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans la Valse des fifres :
Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ;
Le notaire pend à ses breloques à chiffres.
Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs :
Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames
Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de réclames ;
Sur les bancs verts, des clubs d’épiciers retraités
Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme,
Fort sérieusement discutent les traités,
Puis prisent en argent, et reprennent : « En somme !… »
Épatant sur son banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande,
Savoure son onnaing d’où le tabac par brins
Déborde – vous savez, c’est de la contrebande ; -
Le long des gazons verts ricanent les voyous ;
Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious
Caressent les bébés pour enjôler les bonnes…
Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
Elles le savent bien ; et tournent en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.
Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles :
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
Le dos divin après la courbe des épaules.
J’ai bientôt déniché la bottine, le bas…
Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas…
Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres…
Arthur Rimbaud (1870)