Archive pour la Catégorie '* VINCENT Christelle'

Insomniaque

Quand la nuit est lourde comme un astre de plomb,
J’ai le corps glacé au blanc des néons.
Et j’entends grincer les bandonéons,
La scène de l’hiver qui va se lever.
J’ai le corps heurté à coups de klaxons,
Mon âme qui dit non au matin givré,
Aux voix murmurées, aux bruits des talons,
Des moteurs qui font des gribouillis noirs,
Aux migraines des phares en murs de prison,
Aux questions du temps, aux cisailles du vent,
À l’odeur qui colle d’essence et pétrole.
Et je vois tout près -les yeux grand ouverts-
Je sens dans ma chair le sommeil sucré
Des autres roulés dans leurs draps bleu vert,
Tout près, moi qui erre, le souffle serré.

Gueule d’ange

Quand j’ai vu ta beauté
Sur le pas de ma porte,
Ma raison était morte,
Mon angoisse, oubliée.

Ton visage raffiné
Avait une présence forte,
L’homme te faisant escorte
S’en trouvait effacé.

Tel qu’on me l’avait dit
Tu avais la gueule d’ange
De ces mannequins étranges
Des vitrines de Paris.

Comme un chat dans la nuit
Tu avais l’œil qui change,
L’iris fait d’un mélange
De ciel bleu et de suie.

Elégant, l’air hautain,
Tu entrais comme l’enfant,
Un peu tendu, distant,
Mais lent comme le félin.

Sans geste, regard en coin,
Tu t’assis calmement,
Tu parlais rapidement,
Voix claire et l’air serein.

Noyant tes arguments
D’un discours incertain,
Tu devenais soudain
Friable et attachant.

De ton sourire, surgit
Comme un tir lumineux
Qui me découpe en deux,
Ton mystère me détruit.

Mais déjà tu t’enfuis,
Héroïque et gracieux,
Mince, aux muscles nerveux,
Rassasié, hors du lit.

Et c’est comme du poison
Qui m’atteint et je pleure
Au souvenir d’un bonheur
Qui s’envole au plafond.

Seul le silence répond
À ton parfum qui meurt
Sur l’oreiller à fleurs
Qu’avait creusé ton front.

Tous les bruits en un

Pas dans la neige mord dans la terre.
Grondement d’orage, c’est l’avalanche.
La foudre éclate. Claque la pierre.
Aussi, comme elle, craque ma phalange.

La pluie qui fait un bruit de feu.
Le feu qui frappe en bris de pluie.
La pluie crépite comme fait le feu
Qui valse, oscille comme la pluie.

Tous en un, les sons, tous les bruits
Quand on s’approche du corps des cieux,
Quand on touche la peau de sa nuit
Et que fondent nos élans gracieux.

Plus on sait qu’on est fait de rien
Plus l’urgence est de grandir ça
Et plus les bruits se fondent en un
Plus chacun est un monde en soi

Quand tout s’emmêle à force de voir
Tous ces liens que personne n’entend
Qui font goûter une bouillie noire,
On sait qu’on touche l’âme du vivant.

Qui étais-tu ?

Qui connaissait l’homme qui ne disait rien
Au bout de nos phrases et regardait loin
Les mains dans les poches, à l’air chaotique
Qui mangeait lentement, sourire laconique ?

On l’a retrouvé entre algues et tessons
Sous les palmes des signes, le vol des pigeons
Et les voûtes du pont où passent les voitures
Aux chauffeurs pressés, regard droit et sûr.

On l’a repêché, paquet des bas fonds,
Tout gonflé d’histoires remontées au front,
Aux plinthes des murs verts de la rivière grasse,
Bagage déballé, voyageur sans trace,

Là où les sportifs tout frais du dimanche
S’arrêtent, rêvassant, s’essuyant d’une manche
Et où les lecteurs jettent un œil marron
Entre les feuilles mortes et papiers d’bonbons.

Le vent a soufflé sur les bords de toi
Et t’a traversé comme il troue les toits
Quand ton corps s’est fait celui d’une poupée
Aux amas de mousse épars déplacés.

Au pied de ce chêne qui t’a vu glisser,
Un chien a pissé, un oiseau, chanté
Et le trajet gris courant vers la ville,
Les rires le jalonnent des vélos tranquilles.

Dans le silence lourd, sur les graviers nets,
Ton jeune spectre bats : un cœur de planète.
C’en est une entière que tu emmenas
Et personne ne pleure ce monde qui se noie,

Ce monde qui s’écroule, cet assassinat.
La vie ne met même un voile sur cela.
Elle mêle en même temps, la mort, les sardines,
Un mégot qui traîne, un bras qu’on vaccine…

Bordel des bordels ! et un champ de blé
Qui ondoie luisant au même air butté.
L’air qui le caresse est celui qui perce
Ta carcasse lasse, l’enroule et la berce.

Qu’il y creuse sa place comme feu dans la nasse
Et qu’il la fasse taire et puis la défasse,
L’efface et l’enterre, l’esprit ne l’accepte
Cette vérité crue que l’on intercepte.

Pourtant tu n’es plus et c’est comme cela
Que tu es parti et pas comme un roi.
Voilà ce qu’on est, voilà ce qui est
Hors de tout reflet, avant et après :

Un morceau de poire là qui tombe par terre,
Qui n’a plus à voir avec un dessert
Ni avec un fruit et passe à la trappe,
Un morceau fantôme que rien ne rattrape.

La vie facilement nous laisse devenir ça,
Sans avertissement, sans masque, ni passe droit.
Des âmes les plus fines elle fait du terreau
Pour les pieds des signes, le soc des bateaux.

Prince noir

Pendant du blond aux yeux de glace,
Te voici mon nouveau canon,
Prince ou barbare aux yeux charbon,
Aux cheveux du noir de l’espace.

Viens étendre ton corps de rapace
Sur la berge fraîche d’un étang,
Ta tignasse aux reflets d’argent
Emmêlée de fleurs et de crasse.

J’ouvrirai le voile de ton torse
Sous ta gorge nerveuse que je mords,
Pour caresser tes muscles d’or,
Tes beaux muscles aux fibres retorses.

Dans ton regard froissé de fièvre,
Luira un ruisseau de promesses.
En frôlant celui de tes tresses,
Je boirai celui de tes lèvres.

J’aspirerai ce fluide de rose
Entre tes dures mâchoires de pierre
En me coupant aux lames de verre
De tes dents, aimants de mes proses.

Je m’étendrai à tes abords.
Là, une immobile jusqu’au soir,
Les yeux fermés, comblée de noir,
Tu seras l’encre de mes pores.

Et pour écrire ce que tu es,
Lourde, je me fondrai à ta masse.
Sous la lune -collés à cette place-
Nous dormirons, ventres défaits.

À l’aurore j’aurai les collines
De tes pommettes d’ambre pour ma bouche,
Ton ventre pour ma main qui s’y couche
Et sa chaleur qui m’assassine.

Dans ce bois au parfum de mangue,
Près de l’eau, se mêleront nos doigts.
Une colombe dans le ciel passera
Et nous aurons l’âme qui tangue.

Nous deux, enlacés, sans rien dire,
Verrons naître un soleil qui bat
Mais l’image s’efface déjà,
Ce n’était qu’un rêve qui expire.

Etoiles filantes

Et dans le silence bleu là-haut du firmament,
Comme une couleur plus haute, comme une gorge de ciel,
M’apparaissait un gouffre où mon œil, l’attendant,
Je vis soudain briller un filament de miel.

Pétillant, étincelant, comme un collier cassé,
Etiré, en suspens et qui se désagrège
Dont on aurait ôté les perlettes’ dorées
En un clin d’œil pressé, un vif tour de manège.

Là entre les étoiles accrochant mon délire,
Il avait emporté dans son fil de dentelles
En plus de ma part d’ombre, un élan d’avenir
Et tiré de mon être un arbre de Noël.

Je sentais son étoile que je n’avais pas vue
En retard au miroir de mon iris briller
Car une gosse pluie de fleurs au cœur jaune, apparue,
Pulsa dans le pollen qu’elle laissait rayonner.

Et ce morceau infime de lumière a tout mis
-De ce qui n’a de prix, de ce qui vit plus fort,
De ce qui nous déborde dans un rai si petit-
Dans la boîte trop réduite que je suis pour son corps.

C’est le fil d’un réseau immense et infini
Où je voulu me pendre une seconde, une fraction
Mais l’histoire a eu lieu à tant d’années d’ici,
Dix mille Moi n’étaient nés, il est cassé le pont.

Reste la persistance de ces feux d’artifice
Dans le tableau vivant comme un rêve à la craie,
Une caresse allumée sur notre précipice,
Ou une larme élastique sur une heure qui se tait.

Suture

Perles de rubis sur peau d’ivoire
Surgissent dans les barbelés noirs.

Signature fourbe et laborieuse
Sur une barbarie caverneuse

Fichée là en une vile boudine,
Échelle en lacets de bottine

Qui mangent la chair et l’abrutissent
Au pied de ces deux lèvres lisses,

Berges épousées sur la colline
Sournoise, aux reflets de ravine.

Quel bazar sous-jacent se cache,
Que m’a-t-on fait sous cette attache ?

Je suis intoxiquée de voir
La vérité de mes manoirs

Compliqués de leurs antichambres
Que leur réveil lentement cambre.

Ce chemin grossier en surface
Barré de ses rameaux rapaces

Est la bouche muette où travaille
Un secret pour faire d’une entaille

Bientôt plus qu’un liseré nacré
Un fil de soie, pâle et léger

Sur un monde retrouvant sa forme
Après les douleurs qui s’endorment.

Magie sublime de la nature
Dévouée au plus fines déchirures

Et fiable jusqu’au plus friable,
De ta gloire je suis incapable !

Le mort

Contre la cire lamentée
Sont là, mille froufrous dorés
Qu’on a tendus dans les coins
En triste château de soin,

Farandoles contre le froid
Du jaune terne urique des doigts
Ligaturés des perles noires
En un raide collier du soir.

Il vit le lit à jabots,
Aboyant au petit trot
Pour faire gonfler l’occupant
Qui aspire tout ce brillant,

Rigide et mat : une grume
Serrée dans son long costume.
Une impeccable poupée
Dans les coulisses, apprêtée.

Dans la pénombre de cette chambre
Entre les deux cierges d’ambre,
Mon regard est aimanté
Par ces deux paupières soudées.

Seul indice d’une ancienne vie,
Cette fermeture où l’on prie
Car les autres pièces du corps
Ne sont plus rien que des bords.
On ne sent rien au-delà
De cette barrière des deux bras
Qui repousse l’œil intrusif
Contre les soyeux récifs.

Là-dessus la pensée sage
Glisse et tombe sur le carrelage
Pour s’y fondre et s’écraser
Et ce mirage, y noyer.

Mais le chemin sans arrêt
À cet étage est refait.
De cette étagère de soie
À cette mine de gravats,

À ces bras bien en équerre
Pour asseoir l’heure dernière,
Dans les lignes de ce chapelet,
Perles de myrtille dans du lait.

Dans mon âme elles font des trous
Par leur lustre d’acajou,
Derniers scintillements mouillés,
Un silence en pointillés.

Et coule de là dans l’esprit
La paix de tous les partis
Comme le rappel obséquieux
De ce départ contagieux

Précy jardin

Je vois ce jardin de Précy,
Précis, aux fines fleurs de ma peine
Où je m’avance triste et sereine,
Où je tombe comme au fonds d’un puits.

Mais c’est sur la pointe de l’esprit
Le cœur à l’envers, déchiré
Sur un coin de pierre du passé
Où l’oiseau de l’enfance s’est pris.

Et je retrouve au creux du nid
Entre les roses d’un voyage blond
Des restes de rêves à mon front
Derrière un voile tremblant de nuit.

Me pousse un arbre dans la tête.
L’arbre des souvenirs, infini,
Dont je vois les rameaux flétris
Au bout d’un éclat qui s’entête.

Mais ma voix reste prisonnière
Et je ne reviens de ces plis
Des chaleurs de tant d’étés fuis
Qui me couchent dans un lit amer.

Flottent les chuchotements volatiles
Me portant plus frêle qu’une fourmi
Pour me ramener jusqu’ici
Sur les rails d’un réel futile.

L’origine du monde

De tout prés, il veut voir.
L’homme ne voit que de prés.
S’il est myope, est-il prêt
À ouvrir le tiroir ?

Ce qu’une femme dit trop tard
Ou sans jamais dire vrai,
La science le parfait,
Sans pincette et sans phare.

Et l’homme, lui, qui veut croire,
Comprendre comment c’est fait,
Ne voit qu’une ligne, un trait,
Résumé dérisoire,

Ridicule promontoire
D’un bâtiment secret,
Aux chemins en retrait
Dans les règles de l’art.

La femme garde son savoir,
Couvre l’œuvre et se tait
Contre le cri de Courbet
Sur l’insistant miroir.

Un verrou au couloir
Et des siècles de méfait
Pour découvrir l’étai
Qu’on croyait canular.

On le chargeait d’un noir
Plus grand que d’un palais.
Et la femme le relaie
En ruminant sa part,

Coince l’homme à son départ
Resserré sur les faits,
Ne peut briser le rai
Fondé par sa mémoire.

Elle est -dans ses placards-
Muette sur son objet
Comme si elle en était
L’observatrice ignare.

Et l’homme fixé au bord
Ne discerne pas l’aveu
Pour braver cet essieu
Surgi du nombre d’or.

Il mâchonne d’anciens mors
D’une censure qui s’émeut
Pour découvrir un peu
Par où ancrer l’abord.

Il ne sait rien encore
Des lignes, des masses, des creux,
Du parcours mystérieux,
Ni des angles retors,

Rien de l’interne décor,
Détours anfractueux
Pour le schéma heureux
Adapté au raccord.

Et lui qui fait son sport
Tout en fermant les yeux
Il apprécierait mieux
Avec les yeux d’Ensor.

À connaître le corps
Trop caché, mystérieux,
Il serait moins peureux,
Le lien serait plus fort.

Des livres il n’y a pléthore
Pour parler de ce creux
Sauf les blasons hideux
Pour en faire un rapport.

Il faut croire que le sort
Fit du sujet scabreux,
Peu de cas. Et le feu
Mettait fin à ses torts.

Elevé en trésor
Ou proscrit… L’entre deux
Terminera le jeu
De reculer l’accord.

Plein sud

Les terrains rouille d’en bas mènent souvent à des grilles
De propriétés lasses et hautes et camouflées,
Derrière des murs de gré aux façades décrépies,
Aussi blonds et massifs que les remparts des blés.

Je cours vers cette allée où la fraîcheur vous lèche
D’une ombre bleue parfumée, prés d’une fontaine cachée,
Dans une vieille cour glacée où traînent des fleurs sèches,
Des chardons et des figues dans des plats cabossés.

Et partout aux oreilles, le frottis épicé
Des cigales hérissées et des criquets jaunis,
Des lézards qui serpentent vers les crevasses zébrées,
S’y engouffrent, happés comme les doigts dans du riz.

Petite foule verticale souple, orange et rebelle,
Loin de la mer tranquille et qui oscille, turquoise
Lissée comme une peau, le soir, ambrée de miel :
Un miroir éclatant que l’oiseau, tremblant, rase.

Les coudes sur le fer froid et rouillé d’une vielle table,
Sur une terrasse de laves, nous parlons de la ville,
La voix douce, les pieds nus pleins d’épines et de sable
Et les doigts dans les crabes. Viennent les guêpes sous les tuiles.

…Pieds nus, dedans, dehors, secs, fripés des graviers,
Blessés des plantes pointues, apaisés des carrelages,
Et pour finir la nuit, de moustiques, dévorés,
Sur les draps bleus gluants du sel et des orages…

On ne quitte le corail des chemins terre de sienne,
Du haut des toits, veinules qui courent vers les recoins
D’un paysage doré. Là s’évacue la peine
Comme les perles de sueur d’un revers de la main.

Songe de nature

Le clapotis d’une source glacée
Sur la pierre lisse et tachetée
Comme un œuf de pigeon doré
Entre les terres rousses d’une rivière…

L’eau me vient à la bouche de boire
À ce jet tordu de miroirs
Morcelé en des diamants noirs,
Reflets des herbes sèches de l’hiver.

Le soleil criant sous les branches
Atteint la petite avalanche
Dont les perles éclaboussent mes manches
Quand je me penche, genou à terre.

Petite fraîcheur contre la joue
Rougie comme la main dans la boue
Rentrant dans les pierres qui la clouent
Comme le cri strident d’une mère.

La mousse est un meilleur support
À ma peau que le froid dévore.
Je m’assoupis contre un tronc mort,
Ivre de glace et de lumière.

La danse orange des feuilles tombées
À la brise d’un automne léger,
M’échafaude une triste pensée
Grimpant vers le coin d’un ciel vert.

Les yeux dans cette hauteur, vissés,
Le corps monte comme évaporé.
Comme il me manque déjà l’été !
Automne, la saison du désert.

Il y a plus important

Que d’énergie perdue dans des haines ressassées,
Quand une petite pensée peut stopper la spirale
Et qu’un soupir peut clore le chapitre du mal
Pour nos âmes qui par rien se retrouvent dévastées.

On devrait avoir honte d’avoir mal de si peu
Quand la torture existe à quelques pas de nous
Et que nous sanglotons, tristes, sur nos genoux
Pendant qu’un enfant meurt au milieu de ses jeux.

David

Du peintre tu portes le nom,
Mais il m’évoque le son
Des vagues par le suave
De son beau v qui bave.

Et je vois le mot « brave »
Briller à l’horizon
Comme les tendres rayons
D’un gracieux jet de lave.

Et moi sans ma raison,
Et moi dans mes questions,
Prise au fond de ma cave,
La nuit me rend plus grave.

Ta lumière qui me gave
Donne un goût de poison
À mes anciennes actions
Dont plus rien ne me lave.

Et malgré l’intention
Je perds ma direction
Car le passé n’entrave
Pas le mal qui le pave.

Les élus eux le savent,
N’est pas de rémission
Sans une révolution
Pour qui fut un atave.

Plus une trace

Où sont passées les règles
S’écoulant librement,
La machinerie femelle,
Ancestrale du primate ?

Envolées comme l’aigle.
Le voilà, l’absorbant
Du liquide qui ruisselle
Tout honteux sur les pattes.

Des linges chaotiques
Bourrés dessous la robe
Où le rouge éclatait
En des taches grossières,

Aux serviettes hygiéniques,
Recevant les opprobres
Du mâle qui ne se fait
Au dégoûtant mystère,

À nos tampons internes
Qui gonflent, tout spongieux,
Obstruant l’orifice
Et bravant le débit,

Le voilà -plus un cerne,
Plus une trace dans le creux-
Ravalé le supplice
De la viande pourrie.

Les poubelles sont vides.
La cuvette ingurgite.
Disparaît dans le blanc
L’odeur de la charogne.

Les tuyaux drainent le fluide
Des poches qui s’effritent
Vers la terre et les dents
Des bactéries ivrognes.

Les voici les soldats
Aux rictus de l’horreur,
Criant « Qu’un sang impur
Abreuve nos sillons ! ».

Écrasée sous leurs pas
Est la lie qui fait peur
Comme l’insigne de l’ordure
Dont elle est le bastion.

Pour l’avoir tant maudit
Depuis le commencement,
Ce ventre qui vous donne
La vie sans lassitude,

Souffrez à l’infini
En regrets et tourments,
Qu’un jour il abandonne
Cette mission trop rude !

Les mutantes

C’est le temps des mutantes

Au visage de poisson,

Des volumes qu’on arpente,

Des effrayants ballons.

 

Tout ça gonfle et augmente

Au caprice de la dame.

On taillade, on édente.

On n’en fait pas un drame.

 

Prothèses et ablations,

Ça tourne sur le billard.

De fessiers en jambons,

On dégraisse le lard.

 

Culottes et grasses joues

Ca part dans des gros bacs.

‘Exit’’ les ventres mous,

Triples mentons et sacs.

 

Ca suce dans les d’ssous d’bras,

Sur les hanches rebelles.

La tige aspire le gras

Et voyage le scalpel,

 

Découpe sur le bidon

Et dépèce la bête.

Des cheveux au menton

Ca y va, on s’répète.

 

Adieu les nez busqués,

Pattes d’oie, grosses arcades

Et oreilles décollées,

Tout ça d’un coup s’évade.

  

Terminé les valises,

Vergetures et varices,

Taches de vin, on incise,

Bien venue peau factice.

 

Ca retend sur les tempes,

Ca aspire par derrière.

Oh la belle bouche de vampe !

Sourire de chambre à air.

 

Tout ça sent l’silicone,

Les implants, le plastique.

On devient une icône.

Au toucher, ça s’complique.

 

Ça explose, œufs mollets.

Ça cancérise partout.

La poitrine, ça s’défait.

Tu la r’trouves dans tes g’noux.

 

Et toujours voir plus grand,

Raboter, ajouter

Pour rev’nir comme avant,

Pour être pire après.

 

Et quand le temps s’y met

Voilà un chouette tableau !

La mutante transparaît,

On voit que tout est faux.

 

Le masque se relâche.

Les amas s’accentuent

Alors la femme se fâche

Pleurant le charme perdu.

L’arme originelle

Entre vos jambes elle pend en stalactite lourd
De tensions primitives dont rien ne vous nettoie.
Enfin est arrivé le moment du parcours
Où la nature permet qu’hommes et femmes ne soient

Plus seulement deux extrêmes, des êtres aux antipodes,
Mais offre enfin cette chance inouïe d’un genre nouveau
Mélange des deux présents dont chacun par un code
Était coupé de l’autre dans des rêves inégaux.

C’est l’aire de l’androgyne qui apaise le feu
De l’arme originelle dont elle calme la passion.
Elle qui a, tant de siècles, loin de cet entre-deux,
Exercé sa puissance sur la femme sans action.

Il s’élance l’androïde loin des sentiers battus
Des singes anciens et rustres encore assez vivaces.
Elle retombe la trique des vieux gorilles poilus
Des vikings et soldats dont est perdue la trace.

C’est tout juste si subsiste la nostalgie du mâle,
L’esthétique du machisme qui posait ses repères.
La femme ne se range plus dans sa classe ancestrale
Et la technologie a pris la place du père.

Donc il faut croire qu’un jour tombera la violence
Qui venait de cette arme à jamais déchargée
Et que cet être lisse et fluide qui s’avance
Amènera l’équilibre si longtemps recherché.

Et l’arme originelle bien flétrie comme un gant
Que vous dressiez si fiers tout plein de syncrétisme,
Celle qui, à l’origine des crimes les plus grands
A construit dans le sang, misogynie, fascisme…

Pourrira sous la terre, reniée par les hommes
Dont la matière enfin ne sera plus si dure.
Adam crevé, Ève, elle, dédaignera la pomme.
Masochisme, tyrannie, extrémités impures

Se verront évincées hors du monde humaniste.
Assagi et serein sera l’être rêvé
Délivré des pulsions qu’une nature égoïste
A ancrées dans les corps pour mieux les diriger.

Et c’est une brise légère qui circulera en lui
Au lieu d’instincts trop chauds qui le déréglaient vite.
Et le mal quittera les masculins esprits
Où la haine abritait les tourments de la bite.

Orage d’été

De jaune à gris,
De gris à noir
Il craque le soir
Sur nos abris,

Un sac de grêle
De blancs cailloux
Qui mordent et trouent
Le sol de miel.

Et la crinière
Qui vrille les cieux
Et tord les yeux
Crie aux oreilles

Sa rage virile,
Dragon houleux
Crachant son feu,
Brisant les fils.

La bête ronronne
Et se retire.
Après les tirs
Du ciel qui tonne,

Le blanc revient
Et puis le jaune.
Sur le pylône,
L’oiseau serein

Retrouve sa place.
Les larmes d’eau
Bues par le chaud
Ne laissent trace.

Et comme après
Un beau mirage
Les yeux voyagent,
L’âme est en paix.

Le goût du travail

Loin des rires qui raillent,
Des peines ressassées,
Des gamins qui braillent,
Des chiens énervés,
Des garçons qui baillent,
Des filles allongées,
Moi l’épouvantail,
Laisse moi rêver,
En haut d’une muraille
Remplir mon cahier.
Et derrière la faille
De mon cœur ridé,
Derrière les entailles
Des jalouses épées,
Entre les tenailles
Des paresses innées,
Le goût du travail
Ne m’ôte jamais !

Lune

Auguste lune

Ton regard froid

Me sauve de moi

De mes rancunes.

 

Telle une enclume

Tu restes coi

Mais de tes doigts

Derrière la brume

 

Viens remuer

Dans mon sommeil

Comme le soleil

Mon corps figé

 

Me rassurer

Dans un conseil

À mon oreille

Doucement soufflé.

 

Dans le pétrole

De ton lit bleu

Ton œil radieux

Appelle mon vol

 

Et l’âme molle

Vissée aux cieux,

L’esprit heureux,

Je quitte le sol

 

Puis je rejoins

Ta douce pâleur.

La nuit se meurt

Et je l’étreins

 

Et ne retiens

Que ta liqueur

À la faveur

De son déclin.

 

Puis je m’endors

Dans ton étau

Sous le rideau

De ton décor

 

Et sans effort

La nuit se clôt,

Le matin chaud

Déplie sa flore.

Crâne

J’aime en toi, crâne superbe et symbole de la mort,
Tout ce que tu renfermes dans ton curieux manoir
En ta matière laiteuse et riche et inodore
Où s’enracine la flore de tes tendres mémoires.

Ton front lisse et boudeur surplombe deux cavernes
Où des globes jadis y lançaient leur lumière.
Les deux trous ténébreux sont des puits qu’on n’observe
De peur d’y découvrir un effrayant mystère.

La cave entre ces puits est un tombeau obscur
Où le souffle va et vient sans y être invité.
Pourtant il fait vibrer toute cette solide structure
D’une onde imperceptible qui semble l’animer.

Ton sourire carnassier immobile qui luit
Offre ses stèles d’ivoire serrées qui se bousculent
Sur l’immense profondeur de cette étrange nuit
Où un peuple de cris s’amoncelle et pullule.

Et j’aime ta fierté, ton hiératisme vain,
Tu portes dans tes os les tourments et les larmes
Dont le cruel cerveau de ces siècles anciens
T’a imprégné, malsain, pour que tu nous les clames.

Mon monde à moi

Derrière les forêts,
Par delà les montagnes,
Il n’y a plus de larme,
Plus de haine à donner.

Au dessus des volcans,
Plus loin que les étoiles,
Il n’y a plus de voile
Sur le bateau du temps.

Tout là-haut dans l’espace,
Plus loin que l’infini,
Il n’y a plus de bruit,
Il n’y a plus de trace.

Dans le néant total,
Dans l’ombre et le silence,
Il n’y a que moi qui pense
Sur mon bateau sans voile.

Ailleurs

Il n’y a pas d’ailleurs,
Ton ailleurs est en toi.
Tu es ta propre douleur,
Tu es tes peurs, ta proie.
Il n’y a pas d’ailleurs.
Il n’y a pas d’autre endroit
Où tu sécheras tes pleurs
Car ailleurs est en toi.
Il n’y a pas d’ailleurs
Car c’est chacun pour soi.
La joie ne se donne pas,
Il faut ouvrir la fleur
Qui pousse au fond de soi.

Prière pour tenir

Ne pas voir plus loin qu’un jour,
Chaque jour faire une chose pour l’art,
Faire chaque art avec bravoure
Par la fleur des idées noires.

Les démons de son histoire,
Les accepter tour à tour
Pour en peindre un étendard,
Pour en élever une tour. 

Avoir le compte à rebours
Dans un coin de sa mémoire
Pour profiter du parcours
Si court et suivre un seul phare. 

À la fin on perd toujours
Mais l’on a sa petite gloire
D’avoir mis un peu d’amour
D’avoir montré un pouvoir. 

Mon monde à moi

Derrière les forêts,
Par delà les montagnes,
Il n’y a plus de larme,
Plus de haine à donner. 

Au dessus des volcans,
Plus loin que les étoiles,
Il n’y a plus de voile
Sur le bateau du temps. 

Et là-haut dans l’espace,
Plus loin que l’infini,
Il n’y a plus de bruit,
Il n’y a plus de trace. 

Dans le néant total,
Dans l’ombre et le silence,
Il n’y a que moi qui pense
Sur mon bateau sans voile. 

Le mort

Contre la cire lamentée
On mis mille froufrous dorés
Qu’on a tendus dans les coins
En triste château de soin, 

Farandoles contre le froid
Du jaune terne urique des doigts
Ligaturés des grains noirs
D’un très raide collier de soir. 

Ça gigote, lit à jabots,
Aboyant au petit trot
Pour faire gonfler l’occupant
Qui aspire tout ce brillant, 

Rigide et mat : une grume
Serrée dans son long costume,
Une impeccable poupée
Mais par assauts préparée. 

Dans la pénombre de cette chambre
Entre les deux cierges d’ambre
Mon regard est aimanté
Par ces deux paupières soudées. 

Seul indice d’une ancienne vie,
Cette fermeture où l’on prie
Car les autres pièces du corps
Ne sont plus rien que des bords. 

On ne sent rien au-delà
De ce tissu de peau gras
Qui repousse l’œil intrusif
Contre les soyeux récifs. 

Glisse alors la pensée sage
Le long de ces fibres sauvages
Pour, dans le carrelage, tomber
Et son image y noyer. 

Mais le chemin sans arrêt
À cet étage est refait,
De cette étagère de soie
À cette mine de gravats, 

À ces bras bien en équerre
Pour asseoir l’heure dernière,
Dans les lignes de ce chapelet,
Grains de myrtille dans du lait. 

Ils font des trous à mon pouls
Par leur lustre d’acajou,
Derniers scintillements mouillés,
Un silence en pointillés. 

Et coule de là dans l’esprit
La paix de tous les partis
Comme le rappel obséquieux
De ce départ contagieux. 

Songe de nature

Le clapotis d’une source glacée
Sur la pierre lisse et tachetée
Comme un œuf de pigeon doré
Entre les terres rousses d’une rivière… 

L’eau me vient à la bouche de boire
À ce jet tordu de miroirs
Morcelé en des diamants noirs,
Reflets des herbes sèches de l’hiver. 

Le soleil criant sous les branches
Atteint la petite avalanche
Dont les perles éclaboussent mes manches
Quand je me penche, l’œil grand ouvert. 

Petite fraîcheur contre la joue
Rougie comme la main dans la boue
Rentrant dans les pierres qui la clouent
Comme le cri strident d’une mère. 

La mousse est un meilleur support
À la peau que le froid dévore.
Je m’assoupis contre un tronc mort, 

La danse orange des feuilles tombées
À la brise d’un automne léger,
M’échafaude une triste pensée
Grimpant vers le coin d’un ciel vert. 

Les yeux dans cette hauteur, vissés,
Le corps monte comme évaporé.
Comme il me manque déjà l’été !
Automne, la saison du désert.

Orage d’été

De jaune à gris,
De gris à noir
Et craque le soir
Sur nos abris, 

Un sac de grêle
De blancs cailloux
Qui mordent et trouent
Le sol de miel. 

Et la crinière
Qui vrille les cieux
Et tord les yeux
Crie aux oreilles 

Sa rage virile,
Dragon houleux
Crachant son feu,
Brisant les fils. 

La bête ronronne
Et se retire.
Après les tirs,
Le ciel qui tonne, 

Le blanc revient
Et puis le jaune.
Sur le pylône,
L’oiseau serein 

Retrouve sa place.
Les perles d’eau
Bues par le chaud
Ne laissent trace. 

Et comme après
Un doux mirage
Les yeux voyagent,
L’âme est en paix 

En oubliant
Cette fureur
Qui tout à l’heure
Creva le sang. 

Lune

Auguste lune,
Ton regard froid
Me sauve de moi,
De mes rancunes. 

Telle une enclume
Tu restes coi
Mais de tes doigts
Derrière la brume, 

Viens remuer
Dans mon sommeil
Comme le soleil
Mon corps figé, 

Me rassurer
Dans un conseil
À mon oreille
Doucement soufflé. 

Dans le pétrole
De ton lit bleu
Ton œil radieux
Appelle mon vol. 

Et l’âme molle
Vissée aux cieux,
L’esprit heureux,
Je quitte le sol. 

Puis je rejoins
Ta douce pâleur.
La nuit se meurt
Et je l’étreins 

Et ne retiens
Que ta liqueur
À la faveur
De son déclin. 

Puis je m’endors
Dans ton étau
Sous le rideau
De ton décor 

Et sans effort
La nuit se clôt,
Le matin chaud
Déplie sa flore. 

Ailleurs

Il n’y a pas d’ailleurs,
Ton ailleurs est en toi.
Tu es ta propre douleur,
Tu es tes peurs, ta proie.
Il n’y a pas d’ailleurs.
Il n’y a pas d’autre endroit
Où tu sécheras tes pleurs
Car ailleurs est en toi.
Il n’y a pas d’ailleurs
Car c’est chacun pour soi.
La joie ne se donne pas,
Il faut ouvrir la fleur
Qui pousse au fond de soi. 

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