Archive pour la Catégorie '* MULLER Géraldine'

Le temps apprivoisé

Lorsque tu ne regretteras plus le bonheur d’avant
que tu ne le pleureras plus à chaque aube
que tu ne le célèbreras plus comme la fin d’un rêve

Lorsque tu l’auras délivré des mailles de ton chagrin
abandonné aux voix des vents et des rivières
libéré de toute attente de retour

Alors le Bonheur reviendra
Il volera à ton chevet
comme un jeune oiseau

Et ce sera mon ami
le rêve réalisé
de l’aurore

Voyage

Ne t’encombre pas de choses difficiles -une pensée une émotion une scène de vie suffisent 

Veille à toujours étancher ta soif de mots avec du bleu 

Nul besoin de boussole ou de plan fais confiance à la vérité du moment 

Détache chaque feuille avec la légèreté de la joie 

Et si le rideau s’écarte enfin c’est le signe 

que les étoiles de toute façon t’approuveront  

Rapproche-toi alors sans crainte de ton coeur 

Bon voyage en pays d’écriture 

Le temps du passé simple

Le temps du passé simple
n’est pas simple pour notre mémoire
car il porte le Passé à un degré suprême
et donne au Souvenir une parole absolue
qui abolit le Temps lui-même 

Sûrement

Il existe 

sûrement 

après la peine 

  

un astre à toucher 

un souffle à cueillir 

une fleur à nommer 

  

-au fil du poème 

des mots d’amour 

pour recoudre le Jour 

Chère Else

aucune heure  

ne s’allumera  

après la lueur  

de ma bougie… 

 

Mais toi, mon amie,  

touche ma main  

dans la nuit  

et continue d’écrire. 

 

Ainsi soit l’heure 

du petit matin: 

qu’un nom respire  

pour chaque bougie… 

 

Ce poème a été écrit en mémoire de Selma Meerbaum-Eisinger, décédée le 16.12.1942 à Michaïlkovka dans un camp de travail de Transnistrie (Ukraine), à l’âge de 18 ans

Mémoire

J’ai trouvé 

dans la grande armoire 

parmi les chemises et les draps 

des sachets de lavande 

  

Quand je déplie ma mémoire 

une senteur tombe doucement  

et c’est comme si 

j’effeuillais un regard 

  

Selma est partie 

  

Mais les fleurs de lavande 

par ses doigts réunies 

embaument encore la nuit  

de la grande armoire 

Audace

Sur les bords du chemin 

l’herbe pique un peu 

Un papillon en plein vol 

y accroche ses ailes 

 

Mais si tu veux voir 

le dernier rayon bleu 

entre dans l’herbe folle 

en fermant les yeux 

 

Grand-mère

Grand-Mère ne commençait jamais la journée sans sa croix d’argent qu’elle frottait contre son gilet en riant.

Quand elle ramassait des mirabelles parmi les herbes piquantes, on voyait son ourlet retroussé à la hauteur de ses genoux et la dentelle jaune de son jupon.

Le matin, très tôt, je me cachais derrière la porte pour la regarder. La brosse noire lissait ses longs cheveux blancs: « cent fois, conseillait-elle souvent, pour les rendre plus brillants. » Un frémissement ondulait au creux de ses reins et une expression étrange l’habitait dans le miroir: les yeux profonds, la bouche entrouverte.

Je me souviens d’elle, penchée au-dessus de la bassine où elle lave les haricots: ce sillon bleu entre ses seins me fascine.

Le soir, Grand-Mère s’amusait à me montrer ses mains ridées sous la lampe: « Que je t’apprenne à lire toutes ces lignes de vie… » Et moi, envahie par une peur sourde: comme elles sont frêles ses veines brunes qui s’entrelacent à fleur de poignet…

On suivait Grand-Mère dans les champs

L’air mêlait des voix mystérieuses

Les mirabelliers acquiesçaient dans le vent

Les insectes vibraient

Les petits animaux se précipitaient pour nous confier les rêves inavoués des sous-bois

Les cailloux s’en étonnaient

Et quand un nuage s’avançait, la bedaine lourde de pluie:

« Le soleil nous fait une farce. » souriait Grand-Mère.

Une fin d’après-midi d’été, les traits tirés, Grand-Mère nous souffla: « Jouez sans moi ».

Elle désirait se reposer plus qu’à l’accoutumée.

Nos espiègleries ne l’accompagnèrent pas à la porte de sa chambre.

Elle ne réapparut pas pour le dîner.

A partir de ce soir-là, je cessai de converser avec le bel oiseau d’or qu’elle épinglait sur son coeur.

Insomnie

Je me réveille 

dans la nuit 

Est-ce 

le volet 

que heurte 

l’épaule du vent? 

 

Le cri plaintif 

de la hulotte? 

La cheminée où rôde 

une voix aigrelette? 

L’arbre qui grelotte 

près de la gouttière? 

 

Ma main 

cherche sans fin 

ton ventre ton bras ta main 

et se perd 

dans les plis froids 

du drap  

 

Pourquoi mon coeur 

ce tremblement? 

C’est ma chère 

le tendre soupir 

du souvenir 

 

ou le pouls fidèle 

de Minette 

qui s’endort  

les yeux ouverts 

sur le corps 

de ta longue Attente  

Côté cour, côté jardin

Un coup sec… La porte s’est refermée. Comme il fait noir! On cherche une lampe, une petite étoile… En vain. C’est la panne d’électricité et de ciel… Pas d’allumette pour que crépite un peu d’espoir… Patience! Une telle situation peut durer une heure ou un an. Cela dépend de notre temps intérieur.  

Il faut malgré tout avoir confiance; on trouvera bien la clé qui ouvre le jour même si on a cherché partout à tâtons, dans sa poche, dans le vase, au fond d’un tiroir, dans tous les endroits où se cache de manière très probable une clé.  

Quand on a tenté le possible et l’impossible, lâcher prise, se reposer, accepter qu’il fasse nuit. C’est ainsi.  

Et puis, soudain, on a l’impression qu’un autre temps fleurit. Un parfum danse comme si le printemps lui-même l’avait cueilli. On entend un oiseau qui pousse la note très haut. Alors, on réalise -sans y croire encore complètement -qu’une porte s’est ouverte, selon notre loi intérieure. Un peu de ciel est entré avec sa brise et sa lumière. C’est la promesse d’une promenade, d’un chemin. C’est le début du jour.  

Notre coeur se sent transformé par une douce lucidité proche de la joie de l’enfance. 

Il prend conscience qu’il a vécu jusqu’alors côté cour; il va vivre désormais côté jardin. 

 

Le livre de poésies

Par ce matin de printemps sur les quais, tu as acheté, mon amie, un livre de poésies. 

Tous les jours, tu le liras; tous les jours, tu recevras l’invitation d’un poème.  

Pour ce livre, nul besoin de signet ou de chapitre. Que ce soit à la page 40 ou 15, tu cueilleras des mots comme « vent », « nuage », « chemin », »rosée », « cerise ». 

Si tu le lis avec ton coeur, tu sentiras dans ton échancrure le souffle d’amant du vent; tu regarderas se dévider la pelote d’un nuage blanc; tes pas suivront sur le chemin la danse d’une aile; et tu prieras le soleil de ne pas sécher trop vite la rosée qui constelle les cerises… 

C’est, mon amie, lire un livre de poésies. 

Si tu rencontres la colère ou le chagrin, tu entendras battre de loin le tambour du sang; les feuilles frissonneront sous les gouttes; un volet claquera dans la nuit et il faudra longtemps chercher les étoiles, raviver la moindre lueur… Mais après le désespoir, une voix te bercera… Tu t’endormiras alors dans son murmure d’eau douce… 

C’est, mon amie, vivre la poésie. 

Ne te soucie pas de tacher ou de froisser les pages. Si, par mégarde, ton doigt laisse une trace à la page 13, sous le mot « rose », tu n’auras pas éteint la couleur de la rose. De même, si tu cornes la page 50, tu n’auras pas altéré le message que le poète dépose au seuil de chaque conscience dès que paraît le bleu de l’aube. 

C’est, mon amie, avoir confiance en la poésie. 

Qu’à ton chevet le livre demeure ouvert; tu te lèveras le lendemain, l’âme claire.  

Par ce matin de printemps sur les quais, tu as acheté, mon amie, un livre de poésies.  

Lorsque tu arriveras à la fin de ta vie, tu ne t’exclameras pas « J’ai terminé de le lire! » car tu auras écouté toute ta vie la respiration de l’éternité. 

C’est, mon amie, faire vivre la poésie. 

Poévie

Ouvrir le livre 

et lire un vers 

au hasard 

juste avant le noir 

Toute la journée 

j’ai pensé 

que la page de l’espoir  

était tournée 

Mais voici 

que je m’endors  

sur le temps promis  

d’une poésie 

Où est l’Amie? 

Une rime 

au souffle fidèle 

comme la main  

M’éveiller demain 

avec les mots d’hier 

qui ont rajeuni 

C’est mon pari  

Je voudrais avoir 

l’éclat des mots 

Servir la vie  

sans vieillir 

La Poésie me dit 

Vive je suis 

Demain s’écrit 

Aujourd’hui 

Pour mon esprit 

un mouchoir 

Et pour mon coeur 

les mots du soir 

L’étoile d’un poème 

frémit 

Finie la nuit 

de ma peine 

Si vous veillez l’Ami 

ouvrez je vous prie 

ce livre de vie  

intitulé Poésies  

Laissez le hasard 

choisir 

un vers d’espoir 

avant le noir 

Quelque part

en Moldavie dans un temps absolu 

il existe au coeur d’un petit village  

une petite maison que l’on reconnaît à l’un de ses volets cassés 

Une charrette remplie de foin attend au bord du chemin 

Quelques poules au plumage rouge se dandinent  

A la lisière de la terre et de l’herbe une fillette -la jupe levée jusqu’aux genoux- cherche cet insecte vert qu’elle a vu passer tout à l’heure 

Un matou gris s’étire dans un rayon de soleil 

Près du puits trois enfants rient et taquinent un gros chien  

Au seuil de la porte sèche une paire de bottes  

Dans le temps absolu de la Moldavie 

il existe des bruits étoilés de silences 

Une vieille femme pose son seau sur le banc de bois se frotte les mains au coin de son tablier puis s’avance 

souriante dans son foulard fleuri noué autour de la tête 

On entend alors carillonner ces phrases en roumain  

Le pain et le chou sont chauds! Vous en mangerez bien? 

Halte

Je me souviens 

très bien  

de ce chalet  

en Transylvanie 

 

le craquement du bois 

le sanglot affolé des feuilles 

le sifflement du vent  

le falot tremblant 

derrière les sapins  

 

et puis plus tard 

le drap déplié 

par une main inconnue 

dont la bague semait 

des éclats d’étoile 

 

Aujourd’hui 

quand je rentre 

en faisant claquer 

mes souliers mouillés 

dans la nuit 

 

la solitude  

de Transylvanie 

me tient encore  

compagnie 

Annette

La Mère dit à Annette: Tu es si petite! 

Annette ne le croit pas; elle parvient à toucher quelques branches du chêne argenté, en se hissant sur la pointe des pieds. 

Le Père dit à Annette: Tu ne comprends rien! 

Annette n’est pas d’accord; elle regarde l’oeil de l’eau qui s’ouvre; elle sait comment le monde joue avec les reflets. 

Le Frère dit à Annette: Tu ne fais pas assez attention! 

Mais Annette a observé, de sa fenêtre, l’éclosion du premier bourgeon. Elle connaît les doigts subtils du printemps, qui traversent le chagrin du vent. 

La Soeur dit à Annette: Tu n’iras pas très loin! 

Dimanche dernier, sans avertir personne, Annette est allée jusqu’au bout de la route et elle a contemplé l’autre versant de la colline, là où la liberté bourdonne doucement. 

L’Institutrice gronde Annette: Tu ne vois pas très clair! Mets donc des lunettes! 

Comment est-ce possible? s’interroge Annette. Je vois à chaque seconde un soleil se lever, vert, bleu, rouge ou nacré… 

Les Adultes ne devraient-ils pas mettre à leur tour des lunettes 

pour découvrir 

Qui est Annette? 

La petite chambre du Sud

Disperser la poussière des choses 

 

Non vraiment rien n’a changé 

 

Sur la chaise le chapeau de l’ultime saison et la fleur ouverte d’un col de robe 

 

Au bord de la table une carafe à combler comme un désir 

 

A droite la coiffeuse où un peigne montre ses dents d’ivoire 

et le miroir ovale où l’attente se regarde 

 

Le volet tremble un peu lorsque l’air dénoue ses colliers 

mais le temps n’a nulle envie de s’envoler 

 

Un souffle se faufile entre les draps de lavande 

 

L’ombre des rideaux s’allonge 

et quelques lueurs y accrochent parfois leurs ailes de papillon 

 

Des patins de feutre glissent dans le soir 

 

Marthe dépose un plateau sur la table basse et le thé infuse comme un secret 

 

Au cours de cette promenade immobile 

cueillir le bleu de menthe du silence 

 

puis converser avec la solitude 

loin très loin 

 

dans la petite chambre du Sud 

Tableau

L’ombre coule 

mon ami 

comme une encre 

de Chine 

 

Si tu veux 

dessinons 

nos visages 

dans la nuit 

Quête

Dites-moi 

je vous prie 

où sourit 

le visage des mots… 

Coquin

Pendant mon bain  un pigeon bleu 

à la fenêtre 

Une oeillade  un signe d’aile 

à la dérobée 

Puis ce frisson  le doux voyeur s’est envolé 

Mon amour

                     tu es 

 

                                    l’eau pure 

 

                                                          qui traverse 

 

                                                                               mon murmure… 

Tu me dis

Je n’ai que la Poésie 

dans ma vie 

et je te réponds 

C’est beaucoup 

 

Une seule lampe 

pour éclairer 

des millions 

de nuits! 

 

C’est Toute 

La Vie! 

Optimisme

Je ne plus seule 

-le saviez-vous? 

J’ai la compagnie 

d’une coccinelle 

dans le cou 

Curiosité

Un froissement 

me réveille 

Est-ce la soie 

d’une robe? 

 

Ma main 

interroge l’ombre 

et ne touche 

personne 

 

Je m’approche 

de la fenêtre 

J’écarte le rideau 

de cretonne 

 

Est-ce bien Toi 

mon amie 

qui marches 

dans les feuilles rousses? 

Cette main

CETTE MAIN 

 

qui d’un geste 

d’or 

allume ta cigarette 

 

comme j’en suis jalouse! 

 

Elle au moins 

peut encore 

approcher ta bouche! 

A mon coeur

Dis-moi, mon coeur, 

pourquoi j’écris 

toutes les nuits 

avec une joyeuse 

douleur… 

En compagnie

Je suis perdue dans mes soucis 

Alors la Poésie 

dont les cheveux sont dénoués sur les épaules 

comme un grand châle 

 

me dit 

Viens Je t’emmène 

Sa paume contre la mienne 

nous traversons la Ville 

 

Et quand nous avons dépassé 

la boulangerie la mairie 

les jardins clos 

des dernières maisons 

 

un rayon d’or bleu 

s’allume 

au bord 

de mes yeux 

 

Ce grain de terre 

cette goutte de nuage 

cette aile balbutiante 

dans le feuillage 

 

l’eau constellée 

de cailloux 

les bracelets 

de la brise 

 

Je m’étonne 

de Rien-et-de-Tout 

Je te l’avais bien dit 

chantonne mon amie 

 

Nous nous promenons tard 

Soudain sonne 

l’heure brune 

du carillon 

 

Il faut rentrer à la Ville 

par temps de lune 

La Poésie se hâte et disparaît 

au bout de mon souffle 

 

Mais son pied sautille encore 

dans mon coeur 

et je réchauffe dans ma main 

l’étoile de sa paume 

 

Quand j’ouvre la porte du couloir 

je n’éprouve point le désir 

d’être accueillie   

par la lampe principale 

 

car une ombre claire 

enveloppe 

mes épaules 

comme un grand châle 

J’espère

qu’au-delà des nuits de neige 

dans la calme saison du ciel 

où fleurit chaque étincelle 

tu penses encore à moi… 

Pour exister

il te suffit, mon ami, de passer doucement 

comme le visage de l’eau… 

Invitation

Aujourd’hui le soleil 

Coule entre les feuilles 

Comme une coccinelle 

Le temps se constelle 

De points frêles 

 

Je déplie la nappe 

Aux reflets bleus 

Je dispose les couverts 

La grande cuillère 

Et sa petite soeur 

 

L’eau de la joie 

Danse dans les tasses 

Sur les assiettes de faïence 

Un étrange oiseau 

Chante en silence 

 

Ton voyage sera facile 

Songe qu’il fait beau 

Puis traverse ma pensée 

Comme une flamme d’avril 

Je t’attends fidèle 

 

Mais ne tarde pas trop! 

Le censeur

Ton stylo sombre censeur 

a dépouillé mes pages 

Mes erreurs ont été corrigées 

mes lettres redressées 

mes accents rétablis 

mes secrets sondés 

mes souffles mesurés 

mes douleurs relativisées 

mes désirs maîtrisés 

mes joies atténuées 

Toute mon existence 

a été ponctuée  scandée  martelée 

par ta légitime surveillance 

 

En exigeant 

mon succès 

en voulant 

rendre mon écriture 

belle comme il se doit 

tu l’as considérablement 

affaiblie 

Mes mots sont de vaines 

étoiles qui fuient 

le doux pays 

de la poésie 

J’ai rangé les rêves 

de mon coeur 

dans les tiroirs gris 

des vieux silences 

Et je déménage 

de page en page 

 

Hélas 

ton stylo noir 

très perspicace 

jadis 

ignore 

combien cela me gêne 

d’écrire ma vie 

aussi exilée 

de moi-même 

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