Lorsque j’ai découvert l’étendue du charme de la poésie, le fameux poème de Baudelaire « Harmonie du soir », m’a plongé dans une forme d’émerveillement intérieur encore inconnu qui était en rapport avec le domaine de la mystique, et la forme de ce poème n’y était pas étrangère. Ce texte était alors qualifié de « pantoum », et je n’ai eu de cesse, dans mon écriture, de sacrifier à cette forme pour exprimer notamment des états d’âme liés au sentiment d’amour.
J’ai appris plus tard que ce poème de Baudelaire n’était pas un pantoum, ou du moins qu’il n’en avait que peu d’aspects, mais finalement suffisamment pour que je m’y attache et que j’y trouve un rythme singulier en harmonie avec ce que j’avais envie de chanter. On enseigne aujourd’hui encore que « Harmonie du soir » est un pantoum, et certains sites à vocation littéraire se font le relais de cette affirmation tout à fait inexacte. D’ailleurs Baudelaire lui-même n’a jamais qualifié son texte de pantoum.
Alors de quoi s’agit-il ?
D’une forme très particulière qui nous vient d’Orient (Malaisie), le pantoum (ou encore pantoun) fut introduit chez nous au XIXe siècle par Victor Hugo. C’est Théodore da Banville qui en consigna les règles que je résume ci-dessous par curiosité, car les énormes contraintes qui les caractérisent découragent de choisir cette forme, assimilable à une prière et difficile à transcrire dans la culture occidentale. Je ne m’étends pas davantage sur ces aspects. En tapant pantoum sur Google, on trouve tout ce qu’on veut.
Voici le résumé de ces règles :
1 |
Forme des strophes |
Quatrains |
2 |
Nombre de strophes |
Nombre pair supérieur à 16 |
3 |
Mètre |
Octo ou décasyllabe |
4 |
Nombre de rimes |
Indéterminé |
5 |
Alternance des vers dans la strophe |
Rimes croisées |
6 |
Alternance des vers dans le poème |
Le vers n° 2 et n° 4 d’une strophe sont repris comme vers n° 1 et 3 de la strophe suivante.
Et le dernier vers doit reprendre le premier |
7 |
Fond et syntaxe |
a) Le poème doit être écrit sur deux thèmes, l’un matériel, l’autre immatériel, le premier étant exprimé dans les 2 premiers vers de chaque strophe, le second dans deux derniers.
b) Les vers consacrés au premier thème doivent se terminer par un point, un point d’interrogation ou point d’exclamation, ce qui interdit l’enjambement. |
8
(facultatif) |
Autre particularité |
Dans sa forme la plus élaborée, le poème doit aussi pourvoir se lire à l’envers |
Dans ces conditions, on peut comprendre que les pantoums composés même par les plus grands poètes comme Théodore de Banville ou José Maria de Hérédia « sentent un peu la sueur ».
Quant à celui attribué à Baudelaire, il ne respecte que la règle 6, et encore, partiellement, car il ne répète pas le premier vers en fin de poème. Cela ne l’empêche pas d’être en tous points admirable. Il n’aura pas « l’appellation contrôlée », c’est tout.
Alors, faut-il jeter cette forme aux oubliettes, ou la considérer comme une sorte de défi intellectuel ?
Pour ma part, certainement pas ! Car on peut en capter des éléments qui donnent un charme certain à nos textes, et si celui de Baulelaire, indépendamment du fond, est admirable et provoque des sensations très particulières, c’est en grande partie à la forme de la règle n°6, plus qu’intéressante dans ses effets, qu’il le doit.
J’avais proposé une forme semblable sur le blog (archives Dalstein, page 2- La remise) sur le sujet de la découverte de l’amour dans son double aspect, charnel et sentimental, qui respecte les règles 1, 6 et 7 (règle 7 partiellement, car chacun des thèmes n’est pas systématiquement confiné alternativement dans les vers 1-2 et 3-4 de chaque strophe).
Pour illustrer mon propos d’aujourd’hui, je vous en partage un qui, pour l’instant, n’est pas destiné à la publication, et traite d’une vision de l’intimité féminine peu usitée dans une culture à dominante phallocratique, pour ne pas dire encore tabou malgré toutes les prétendues révolutions et libérations comme je l’écrivais dans un commentaire sur le poème de Serge Beyer « Canicules », auquel celui-ci fait un peu écho. J’avoue que j’ai un peu hésité à le mettre sur le blog, comme si ces mots, livrés à la cantonade, pouvaient encore être « salis », ce que je regretterais beaucoup. Cela peut faire sourire dans une société où le « hard » est presque de rigueur. Mais rien n’est sans risque…Baudelaire entre autres en a fait les frais, et quand on connaît le développement de son procès, on est outré, non par ce qu’il a écrit, mais par ceux qui l’ont jugé. Il fait croire que, quelquefois, ce qui va sans dire va mieux en le taisant ! Ca ne sera pas le cas.
Sceau
(pantoum non régulier en rimes masculines (1))
Quand sa bouche d’en bas murmure un mot mouillé
En offrant son sourire entre lippes corail
Le monde s’ouvre en moi ainsi qu’un éventail
Et la femme renaît d’un très lointain passé.
En offrant son sourire entre lippes corail,
Son ventre au feu luisant me laisse émerveillé,
Et la femme renaît d’un très lointain passé,
Forgé en creuset d’or, de vermeil et d’émail.
Son ventre au feu luisant me laisse émerveillé
Et je découvre, ému, le sceau de son portail,
Forgé en creuset d’or, de vermeil et d’émail,
D’un écrin délicat pour un gemme rosé.
Et je découvre, ému, le sceau de son portail,
Dans un puissant frisson couvrant l’intimité
D’un écrin délicat pour un gemme rosé,
Qui joue avec mon coeur au fond de son trémail.
Dans un puissant frisson couvrant l’intimité,
Monte un écho vivant des secrets du sérail,
Qui joue avec mon cœur au fond de son trémail (1)
Quand sa bouche d’en bas murmure un mot mouillé.
(1) Etant observé que la rime en ail présente un son identique en rime masculine ou féminine.
(2) préféré à tramail, (les deux orthographes sont admises) d’un son plus dur.