Archive pour la Catégorie '* CHEVRIER Sylvaine'

Mots sans voix

Mots sans voix. Perles de l’absence.

Il crépite, le clavier source,

Les précipite dans leur course,

Plaque  leur noire incandescence

Aux fenêtres sans ouverture

D’un petit écran fabuleux.

 

Mots sans voix. Mots silencieux.

Je vois leurs lignes d’écriture

Alternées, colliers de pensées.

 

Mots sans pudeur, gorgés d’images.

Leur caresse lève un nuage

De souvenances condensées.

 

Sans la voix reste son écho.

Tout notre monde est dans les mots.

 

 

(Premier prix de poésie en 2010,

pour l’association M’Arts Mots Culture, à Saint Geniez d’Olt.)

-Lire

L’écriture a ses grands, de style suranné,

Les manuscrits d’antan, l’or des enluminures,

La noblesse de plume aux illustres griffures

Qui sublime le grain d’un parchemin tanné.

 

L’école cultiva l’art mineur, contourné,

Des pleins et déliés, délicates figures,

Le typographe arma d’humbles fioritures

Les livres de papier, captant l’œil étonné.

 

La lecture est transport. Le sens touche l’esprit

Par la grâce du voir, par l’aura de l’écrit.

Sans la source du jour, d’où viendra l’étincelle?

 

D’un carton bosselé, grêlé de points adroits.

Braille voulut sentir les fleurs intemporelles

De la littérature éclore sous ses doigts.

 

Septembre 2012

 

(Deuxième prix, section SONNET,

décerné par l’association Arts et Lettres de France en 2013)

Le rêve en passeur

Dans la nuit qui m’étreint, le rêve est mon passeur.

Les images d’enfance en un bal de sorcières

Tourneboulent ma tête, y forent des clairières.

Toutes les nuits, le choc me comble de bonheur.

 

J’eus ce bonheur de voir et je rêve en couleurs.

Mille éclats dans le noir, virulentes lumières,

Forcent ma nuit, forcent le mur de mes paupières.

L’horizon saute aux yeux, pousse un feu ravageur.

 

L’homme qui parle ainsi pour chanter le sommeil,

Il porte dans sa voix les rayons du soleil

Que ne voient plus ses yeux. Il en porte la trace.

 

Perdre la vue un jour, sans perdre la raison,

Vous emmure en la plus éprouvante prison.

Dans le jour qui s’éteint, ses rêves lui font grâce.

 

 

 

 

septembre 2012

 

(Publié dans Anthologie poétique de Flammes Vives, 2013.)

Femme

La ligne d’horizon sinueuse et vibrante

D’une masse de chair battue par les flots,

Le pinceau la sublime, en brise les sanglots,

Mixe mille couleurs pour la fixer vivante.

 

 

Les charmes féminins, le poète les chante

A l’envi. Paysage affalé sous les mots,

Dénudé, morcelé, dans ses creux des îlots,

Dans leur sables mouvants l’invisible bacchante.

 

 

Beau sujet !Du grand art ! Mais la femme, où est-elle,

Hors les fantasmes purs qui la rêvent si belle ?

Pour la foire à l’encan le sexe d’occasion !

 

 

Le web et le trottoir valent tel domicile

Où, servante à son gré, jouant à l’imbécile,

Sous cape elle s’en rit. L’infâme condition !

Ambivalence

L’ardent flash de l’éclair… L’écho sourd du tonnerre…

Quand l’écran s’illumine, un ciel noir en retour

Excite crescendo la peau de son tambour.

Le coup de foudre porte au cœur lumière et guerre.

 

 

Tant d’éclat dans la tête ! Il ne touche plus terre,

L’amoureux déchaîné par l’extase d’un jour,

Ignorant qu’un revers se trame à contre-jour,

Que le temps détruit tout dans  sa mortelle serre.

 

 

Cruelle ambivalence. Un nœud fait trébucher

Des pas mal assurés. Le couple va lâcher.

Sur un fil trop tendu, les amants funambules

 

 

Pressent, désespérés, leurs doigts qui se sont joints

Pour croire à l’infini, jouer des contrepoints

Sans accrocs, souvenirs d’esseulés somnambules.

Un seul vers

Un ciel bas dégouline,

Clapote dans les cœurs.

La ville a ses vapeurs,

Chacun sa grise mine.

 

Il suinte des murs

L’obsédante rengaine

D’un écho de Verlaine.

Un seul vers, des plus purs.

 

Il cogne à la fenêtre,

Bondit sur les pavés.

Ses mots restent lovés

Dans les creux de mal-être.

 

Quand l’absence est ma sœur

Et ma seule compagne,

Un seul vers m’accompagne.

 

Il pleure dans mon cœur…

Désir

La flèche du désir, dans un monde étriqué,
S’affole et pique au sol. Icare dégringole,
Ses ailes battant l’air, tout son corps disloqué,
Ne traçant dans le ciel qu’instable parabole.

Tel est notre délire : Atteindre le soleil,
Un midi pour la vie ou l’arrêt sur image !
Conflagration subite et plaisir sans pareil !
Où mène l’inconscience ? A l’ultime naufrage.

Mais qu’importe ! Le sel de la vie est voyage,
Inauguré dès l’aube, en le simple appareil
D’un sentiment d’exil. S’extirper de la cage,
Fuir de la nuit des temps l’immémorial sommeil.

Rien ne sert d’entraver un oiseau qui s’envole !
Peut-il imaginer sa descente en piqué ?
Passe le mur du son ! Trouve enfin la parole !
Toi, flèche du désir, qui n’a pas abdiqué.

Nuit solitaire

La solitude en fond, le sommeil en cavale,
Glu collant à la peau, l’obscurité fait mal
D’abord, comme un étau, la griffe d’un chacal
Accrochée à mon corps. Froide nuit cannibale.

Reculez, reculez, ténèbres vénéneuses !
La lumière intérieure, en geyser, de mes yeux
Fuse, l’imaginaire étreint l’abîme ombreux,
Le féconde , le peint de couleurs prodigieuses.

Alors, la nuit se double d’un effet de moire.
C’était hier. Avant. Mes deux mains dans le noir
Epousent des tracés, réinventent l’espoir
De séquences d’amours telles qu’on n’ose y croire.

La caresse éveillant des boutons solitaires,
D’une flaque de larmes, l’instant d’un éclair,
Explose une corolle, un nénuphar de chair
Frissonnant de plaisir en des spasmes solaires.

Bouquet de mariée

La gracile reine des prés,
Pâle et tremblante sous la brise,
Se mire en les remous diaprés
Du ruisseau, mutine, et se grise…

Si d’aventure un bouton d’or,
L’auréolant de sa lumière,
L’amenait à perdre le nord,
Qu’elle sauterait, la barrière !

Si quelque adonis écarlate,
Pétales au vent déployés,
Se muait en discret pirate
Et fondait à ses pieds noyés.

Si encore venait la prendre,
D’un bel élan voluptueux
De ses feuilles peintes, le tendre
Compagnon rouge, duveteux.

A moins que n’ait la préférence
Le métallique bleu de fer,
Inaltérable en l’occurrence,
D’un fier casque de Jupiter.

L’étrange bouquet de mariée !
Délire de mots, de couleurs…
A combien d’accords tapageurs
L’imaginaire l’a conviée !

Combien de rimes sans raison !
Grappillant dans le dictionnaire
J’ai cueilli des mots, pour en faire
Un bouquet d’aucune saison.

Avec Siméon*

Ta main ne pèse rien, mon bras sert de boussole.

Marchons dans la lumière, et qu’au bord de ta nuit

La canne à demi libre à son gré batifole,

Improvisant au sol un rythme qui nous suit.

 

 

Nous cherchons une adresse. Un monde surréel :

Un jeu de construction tout gris, sur terrains vagues,

Le trottoir esquinté, fendillé  par le gel,

Des numéros sans suite nous jouant des blagues.

 

 

Le soleil est bien froid cet hiver, et si rare,

Autant que les passants. Mais voilà que ta voix,

Réchauffant l’atmosphère, en appelle au dieu lare

De ces lieux désertés, bien loin derrière moi.

 

 

Gaîment tu l’interpelles. Je n’avais pas vu

Ce veilleur trop discret. Ton oreille en alerte,

Captant le moindre froissement d’air imprévu,

L’a débusqué. Lui nous rejoint, la paume offerte.

 

 

Oui, tout est chamboulé, dit-il, tout le quartier.

Je vais vous y conduire, au Secours Catholique.

La plaque est illisible à cause du chantier.

Prenez la passerelle, puis la rue oblique.

 

 

Là, des nécessiteux muets. Le préposé

Au vestiaire les filtre, contrôle des fiches,

Veille à l’ordre de passage, d’un air posé,

Pendant que des gamins lacèrent des affiches.

 

 

La porte s’ouvre enfin pour toi, l’aveugle noir.

Tes mains d’explorateur s’activent dans les cintres.

Pour la taille tu juges ! Nul besoin d’y voir !

Ce chandail te sied-il ?Tu veux me faire peintre,

 

 

Tu veux que sans couleurs je te fasse une toile.

Des mots de géomètre épousent les dessins ;

L’allure, ma main guidant ta main la dévoile ;

Tu choisis l’élégance, avec des airs mutins.

 

 

Pour affronter l’hiver, tu veux de la chaleur,

Celle des vêtements, celle aussi, plus diffuse,

Impalpable et si forte, émise par le cœur.

Tu le sais, que ton corps, le mal le ronge, l’use.

 

 

Le printemps reste froid, gris, se terre, honteux.

Ta dépouille en sa boîte a volé vers l’Afrique

En laissant à Strasbourg, comme une trace en creux,

Ton surnom de là-bas : ‘Toujours content’ ! L’unique !

 

 

 

* Siméon, aveugle qui enseignait les sciences de l’éducation au Cameroun, était venu en France pour se soigner.

Il est décédé à Strasbourg  le 2 mars 2013.

Talisman

Dans le froissement sec et bleu du tissu neuf
Et les chaudes senteurs de peau ensoleillée,
Sur le seuil de l’été, la fougue réveillée
Nous dispense un bonheur dense et plein comme un œuf.

Serré dans nos mains fermées, c’est le talisman
Emporté vif dans la diaspora de l’été,
Quand un large éventail de chemins éclatés
Sous les feux de juillet disperse les amants.

Cette année, dans sa fuite de bref météore,
Sème des traînées d’images, de bouts rimés,
Sur la page où s’efface le geste d’aimer.

La chair assoupie, où son éclair vibre encore,
Prémédite en rêve une infinité d’aurores.

Avril de pacotille

Combien sont-elles? Dix mille?
Des essaims muets d’étoiles,
Tombées du ciel sur la terre,
Piquent le gazon des villes.

Quelque dix mille jonquilles
Pour un avril solitaire,
Un avril de pacotille !

L’éblouissante lumière
Chasse l’hiver de la toile.
Des peaux blanches se dévoilent,
Des mains se tendent, mendient.

Mille bouquets de jonquilles
Pour un avril solitaire,
Un avril de pacotille !

Tant d’éclat tire des larmes.
Sous l’agression printanière,
Le cœur leur trouve du charme.

Il délaisse les jonquilles,
Tresse une gerbe sommaire
De solitude ordinaire,
En fait une offrande, et prie…

Pour que cet anniversaire
Soit le dernier solitaire.

A l’Ouest

Le soleil se lève à l’Ouest.
Et si le ciel pleure une pluie de rayons noirs
Ne crois pas aux couleurs du ciel
Cramponne-toi au leurre et file vers l’Ouest !

La vie recommence à l’Ouest.
Si ta voix s’étouffe à percuter le silence
Invente un écho un appel
Recouvre la parole et vole vers l’Ouest !

Le temps se renverse à l’Ouest.
Les fleurs mauves de septembre endeuillent les prés
Mais l’été colore à jamais
Les yeux des passereaux rassemblés à l’Ouest.

(Extrait de Amour en pointillés.
Publié dans Anthologie poétique de Flammes Vives. Volume 1. 2011)

Hors les mots

Je cherche dans les mots quelque rythme parfait, La chanson qui dirait à tous mes sens: A suivre…     Notre saison d’automne fut une danse… ivre, Colorée… Partout le ciel nous attendait, Sa clémence en cadeau…Miraculeux… Mais… Dans le souvenir seul, ce bonheur peut survivre.     De timides frissons… Les plis du lit défait Sur ma peau… Ton absence tombe comme un givre. Dans le fond du sommeil je plonge, pour revivre L’extase immobile d’un temps qui s’en allait.     La chair a ses raisons, que taisent tous les livres. Leur silence bavard la muselle à jamais.

Février 2012

(Publié dans Anthologie poétique de Flammes Vives, 2012.)

Pluie de cendres

Cruauté sans calcul de l’âge qu’on dit tendre.
Sous ton regard naïf, un ardent pic de braise
Emané d’on ne sait quelle intime fournaise,
La figure des vieux se recouvre de cendre.

Je me rappelle encore un effet si lointain.
Je me rappelle tous ces parchemins salis
Courbés sur mon enfance, leurs taches, leurs plis,
L’odeur aigre des bises du petit matin…

Ces visages cornés, sous mes mains étonnées…
Se peut-il qu’à ce jour tel masque ait pris sur moi,
Figeant dans sa glaise les marques de l’émoi ?
L’âge sculpte et fossilise les chairs fanées.

Je me rappelle aussi. Mon grand-père. Un gisant.
Sa tête sur le drap comme un roc buriné
Que la tempête aurait trop longtemps malmené.
Délivré de tout, de soi-même…Reposant…

Sous la cendre, avant ce terme, enfant, le feu couve.
Toi, moi, nous tous, pareils, consumés de désir !
Vois dessous la cendre les grains de peau rosir !
Je me rappelle. ..Ce volcan, je m’y retrouve.

Tante Paulette

Paulette en son quartier jouait à la sibylle.

Deux mains sur les tarots, le regard scrutateur,

Elle sondait votre âme, y guettant la couleur

D’un possible à venir, conforme à votre style.

 

 

En dehors de l’usine elle élevait des oies,

Cultivait au jardin de quoi nourrir son monde.

Ni son entrain de bon aloi, ni sa faconde

N’empêchèrent le sort de laminer ses joies.

 

 

La crise de vingt-neuf! Cette crise eut raison

De l’argent que l’époux reçut en héritage.

Le pactole sombra dans le commun naufrage.

Adieu le rêve de construire une maison !

 

 

La Française des jeux fit miroiter la chance,

Mais les bons numéros du jour furent nombreux!

Libérale, Paulette fit quelques heureux,

Se retrouva plus pauvre, et la tête en partance.

 

 

L’usine alors ferma, vendit son domicile.

Un fils, malgré l’éloignement de son travail,

Parvint à l’acquérir avant la fin du bail.

Pour sa longue vieillesse il en fit un asile.

 

(Extrait de Les Insignifiants)

 

L’or du temps

Le temps bute, cahote
Sur les cailloux des jours,
Ce temps long qui radote:
Un jour… Un jour… Un jour…

Un cheval de labour.
Têtu. Si lent. Si lourd.

Morne, insidieuse, étale,
Une poisse hivernale
A gelé son effort,
Pétrifié le décor.

L’augure de la mort
Guette sur les bords.

Mais dessous, l’espérance
Enkystée remémore
L’ indéfectible alliance.
Un projet s élabore.

La boîte de Pandore
Doit s’ouvrir à l’ aurore.

(Sylvaine Lucienne G.
Extrait de Suites sans fin
Publié dans Anthologie poétique de Flammes Vives. Volume3. 2011)

Sylvaine Chevrier dite Sylvaine Lucienne G.

Sylvaine Chevrier dite Sylvaine Lucienne G. dans * 1 - Présentation des artistes chevrier-sylvaine-chevrier-246x300
Je suis née dans les Vosges en 1947. J’ai vécu mes premières années à Rupt sur Moselle, où un Collège d’Enseignement Général a été créé en 1958, juste l’année où je pouvais entrer en classe de sixième. Fille d’un ouvrier d’usine, aînée d’une famille de 10 enfants, je suis devenue professeur grâce aux Ecoles Normales : Epinal, Nancy, Fontenay aux Roses. J’ai enseigné la philosophie à Strasbourg de 1971 à 2007. La poésie a accompagné les crises de mon existence : crise d’adolescence d’abord (premières participations au concours de la SPAF en 1962-63), et d’autres plus tardives… Mariée depuis 1968(mais oui !), j’ai 2 fils et 3 petits enfants.

Je signe mes poèmes : Sylvaine Lucienne G.  (de mon nom de jeune fille : GESCHLECHT)




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