Quand mes yeux trouveront le souvenir des choses
Pour unique aperçu du monde environnant,
Pourras-tu me donner, d’un pinceau dominant,
Les couleurs de la terre et ses métamorphoses ?
Lorsque mon cœur tari par les chagrins divers
Et mon corps fatigué par le poids des années
Ne charmeront, hélas ! que des âmes damnées,
Voudras-tu partager mes ultimes hivers ?
Du jour où le désir privé de sa jeunesse
Ne viendra plus gommer d’un coup nos désaccords,
L’usure par le temps malgré tous nos efforts
Cessera-t-elle enfin pour que l’amour renaisse ?
Maudite lassitude ! au nom de quels tourments
Ou de quels idéaux dois-tu troubler nos vies ?
Et ces folles ardeurs que nous avons suivies
N’étaient-elles qu’un leurre exempt de sentiments ?
Si la mort aujourd’hui, pour un dernier voyage,
Me prenait dans ses bras, deviendrais-je regret ?
Et conserverais-tu, comme un tendre secret,
Le parfum du plaisir semé dans mon sillage ?
(Extrait du recueil Rouge et Noir Eden)