DES MOTS
Il y a des mots pour VIVRE
Pour aider à MOURIR
Pour mieux supporter de VIEILLIR
Et même des mots pour
SE TAIRE .
Auteur: Armand BEMER
DES MOTS
Il y a des mots pour VIVRE
Pour aider à MOURIR
Pour mieux supporter de VIEILLIR
Et même des mots pour
SE TAIRE .
Auteur: Armand BEMER
J’ai vu des scarabées dorés gravir les raidillons d’une Rome embrumée,
et les maisons de séquoia écloses comme les pâquerettes, couleurs de joie si vives,
couleurs de femmes peintes, comme ils disent.
J’ai deviné l’océan soupçonnable à peine dans la grisaille
maraudeuse, et les navires cherchant à tâtons la faille
sous les ponts des oublis.
Voici monsieur le maire bénissant des couples hilares, venus du fond de leur revanche en cortège nuptial, comme les goélands endimanchés et bavards, sur le parvis des tilleuls et des gays amours.
Après le carrefour saillant, le taxi plonge tout droit dans la baie du bonheur ;
nous irons, tout à l’heure, manger des harengs sur le port et saluer Alfred, le manchot breton qui cuisine des crêpes au crabe sur l’embarcadère.
Ce soir, sous chapiteau, le cirque cinq étoiles donne le festin du rire, avec service au pas de course
Demain dimanche, nous serons à l’église pour chanter à tue-voix le gospel qui balance les cœurs dans l’incantation de la houle montante ;
le voisin qui me prendra la main sera africain ou jamaïcain, chauffeur de bus ou pilote : qu’importe puisqu’il s’agit de faire le tour du monde meilleur en chantant !
Les jardins du Presidio, emplis de fleurs nuptiales, ont le sourire de Marilyn,
un vieil infirme,
en mendiant, me l’affirme ;
mais à présent, c’est Robin Williams sur sa bicyclette jaune qui tient la corde ;
il me l’accorde.
Dans Chinatown, d’étal en étaux, les marchands ont effacé les trottoirs et l’on gagne de l’espace vital aux frontières des quartiers ;
le ciel est tapissé d’oriflammes sanglantes qui s’écoulent sur les façades.
Lin Fu vend aux Russes du bien mauvais vin, et aux Japonais, son âme, avec des épices étranges ;
son cousin assure des tables et des hôtesses de luxe au sous-sol d’un bouge ténébreux, apparenté à un cabaret.
Je n’ai pas vu le clair de lune sur Alcatraz.
A l’entrée du musée, Rodin pense une fois de plus, qu’il n’est plus temps de philosopher.
Dans les salons du Château de Madame de Graffigny à Villers-les-Nancy, autour d’un noyau
d’adhérents et de sympathisants réuni dans le cadre du troisième café littéraire de la saison, l’équipe de
l’APAC-NANCY accueille chaleureusement Armand BEMER, auteur régional, pour la présentation de
son dernier ouvrage “A l’encre de la Moselle”. Mais, avant d’ouvrir les pages de son recueil de nouvelles,
l’animateur, Pierre VINCENT, propose à l’invité de dresser à l’auditoire quelques traits de son personnage.
Et, ce Mosellan, homme de lettres, tout à la fois poète et écrivain, [engagé sur le plan littéraire (Président
de la SPAF Lorraine), écologiste sur le plan politique (élu local depuis vingt-cinq ans)], lève le voile de sa
naissance à Manom et de son enfance à Berg-sur-Moselle, au coeur du pays des trois frontières : France,
Luxembourg et Allemagne, avant d’affirmer son profond attachement à sa langue maternelle, “le platt”,
(dialecte considéré comme “langue des bouseux” durant ses études secondaires au lycée Charlemagne à
Thionville langue régionale parlée mais non écrite ni enseignée dans les écoles à son époque) qui,
néanmoins, exercera une influence primordiale dans la structuration de sa personnalité et influera, sans
doute, sur ses choix linguistiques. De fait, au terme de son cursus universitaire à Metz, il devient professeur
d’anglais, jongle avec l’allemand, et, par intérêt personnel, approche l’hébreu, l’espagnol, etc….
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Compte-rendu Armand BEMER
Les vaches clochetent dans la danse des grands pins ;
ils balancent lourdement leurs mâts sous la bruine de septembre, là-haut, dans les hautes vagues de la lumière en pâturage.
Hier soir de lune, Traudel a tressé une longue natte blonde, devant la cheminée de chêne massif où flammèchent les esquilles d’un espoir encore tout vert et secret ;
elle a le regard égaré dans des yeux de jade sombre, et la peau laiteuse aimée de ses agnelets
Hansi fend le bois dans la remise de son cœur automnal où croissent les chrysanthèmes des mauvais jours ;
il songe à ces femmes qui l’ont trahi et qu’il voudrait brûler de ses buches au fond du Hexenloch.
Martha, la sage, qui a usé ses mains au bréviaire des anciennes coutumes, ira ce dimanche encore sur la colline, prier Maria in der Tanne et allumer un cierge pour dissiper la brume mécréante de sa mémoire
Sorti d’un hasard joyeux, un tortillard s’affirme et, facétieux, trépigne d’allégresse sur ses rails serpentins ;
il siffle au passage les brouteuses en robe bicolore.
Au bord du ruisseau, enfant échappée de la Grande Cascade et du livre des légendes, Joséphine pose ses pas de vair entre les colchiques et la chanterelle ;
les truites fugitives finiront -c’est sûr- dans la poêle, au son de son appeau ;
au printemps prochain, ornée du Bollenhut, son cœur rouge vif sera à prendre.
Dans le vallon, le moulin a broyé toutes les joies d’hier, et toutes les peines ;
mais le grain de l’aube nouvelle est à moudre.
En forêt, comme en cuisine, le coucou ubiquiste s’égosille à chanter qu’il faut vivre, et vivre encore, le torrent de beautés qui se déverse dans le silence…
… éclos dans l’attente immémoriale d’une apothéose universelle et les prémices irrésistibles des éclats de la Joie,
gardien et signe de passe de la Jérusalem céleste, Cité aux splendeurs innommables,
tu combles de certitude les abîmes de quête à travers les âges pétris d’orgueil et de suppliques, d’agitations grégaires et de moinerie sublime.
Circonscription intangible d’un siècle élu, celui d’un saint devenu roi ;
alpha et oméga de la raison d’aimer, plénitude aboutie dans l’exaltation…
Dès lors ;
passons sur la légende dorée et ses prodiges, le martyrologe déroulé dans le lithique des drapés, et les chœurs processionnaires dans la grande nef des fous en pénitence ;
au diable les rapines de Margot l’Enragée, place de la Bourse, et aux bouches des enfers, les horreurs de la guerre (la dernière salve te fit perdre la tête), la quête du Graal et le roman de la rose, chantée par les troubadours, effeuillée sur internet ;
rose vive et pourtant si déliquescente, infatigable semeuse d’épines sur les chemins de compassion ;
toute cette humanité dérisoire dans son fait et qui ne sait plus penser son destin !
Je ne veux pas lire sur tes lèvres épanouies le livre de la sagesse qui n’appartient qu’aux âmes d’exception : Socrate le phraseur, un autre demi-dieu, et le laveur de vitres qui seul sait ouvrir les yeux ;
et les compromis, en bon usage des strabismes paralytiques, ne se marchandent pas avec l’aiguilleur du ciel.
Non, ces lèvres du Savoir révélé ouvrent les portes de songes plus beaux, plus vrais que la vie, et que seule la poésie, art suprême, peut incarner ;
ne badinons pas, là réside le seul paradis.
Boulevard des Emotions, dans la pâte d’un vieil or couché au couteau solaire, mon double prosaïque, exalté, me dit à sa manière : « Mille hommages à ces bourgeois de la ville des villes qui ont su créer cette perspective rarissime sur la proue de ce vaisseau de lumière ! » ;
et qui mène jusqu’à tes pieds, bel ange ;
jusqu’au rivage de ce sourire, qui pleurerait presque de bonheur…
Babel étale de mille langues mouvantes à l’infini indompté de l’inconscience…
Les goélands rabâchent l’entêtement de ton vouloir à l’affrontement de la falaise où le fracas de l’écume chante une histoire immémoriale et sans autres annales que celle d’une salive froide et fugace, rongeant inlassablement des rocs nus, impassibles et vaincus.
O libres propos de l’océan à ses légendes et ses infinités prospectives ! Haute et puissante houle au déhanchement prodigieux, dans l’immense parcours des simples savoirs… Bien au-delà des limites de l’imaginaire s’étendent encore des territoires que seuls les rêves aventureux, imprégnés de fraîchin, ont su annexer.
Mais les matelots polyglottes, forçats de la transhumance en coque d’acier, ne chanteront plus les routes de l’ambre, des épices et des mirages, dans les gréements de leur audace
Jadis la profusion des chandeliers illuminait les vitraux d’une abbaye ;
on y lisait, sur l’arête du promontoire, la saga des miracles et le passage obligé vers la baie sacrée, vers le repos assuré du pêcheur.
Temple assis sur la mer et les colonnes délicates, bras tendues en prise du firmament à portée de pinacle !
Ainsi flambait la flamme des moines marins, chantant a cappella, dans la nuit transfigurée du littoral, la psalmodie d’un phare inégalable, aujourd’hui éteint ;
céleste cité en lambeaux…
C’est pourquoi les maisons aveugles, et noyées de chagrin, ont tourné le dos à la mer.
Pour une autre cantilène dont seuls les refrains étaient encore de mer, mais la geste inscrite dans le granit d’un drame suprême.
Ombres encloses dans un jardin des oliviers fantomatique et découpées dans l’orage des tourments ;
ronde d’une nuit, exhaussée au pied de la croix, pour la représentation d’un théâtre tragique, fondateur et éternel, sans autre décor que les tentures mouvantes du ciel…
Comment, incrédule, ne pas s’émouvoir devant tant de naïve et sombre beauté !
Hommage aux sculpteurs des chemins de la foi !
Outre temps, du toit enneigé d’un monde inspiré, à travers les âges nus, un Océan de sagesse est venu offrir un libre hommage à l’empire des puissances terrestres, dans ce jardin de la sérénité infinie…
Lac tranquille aux nénuphars cloisonnés, entre les joncs manchonnés de velours noir, entre le rose nacré des calices étoilés, entre les lotus blancs et les iris en liens de sang bleu, sur ses lèvres mordorées, l’onde, joueuse à peine, unit de sa robe suave l’immense étendue de ses riches émaux dans la tiédeur du soir.
Un savant silence peint le fond d’or d’un théâtre naturel où déjà se meuvent des apparences porteuses de lampions aux trouées de vivants soleils. Les fourreaux emblématiques de processionnaires égéries franchissent l’ombre du poirier où se dénouèrent tant de subtiles intrigues; froissement de la soie sur des semelles muettes jusqu’aux abords du pavillon de la bienfaisance où sera bientôt servi le festin des cultures de l’esprit dans la faïence précieuse des émerveillements.
Sous les masques de jade qui ont traversé des siècles de marbre, dans la plainte des cordes pincées au quart d’émoi, s’insinue l’extatique sourire du bouddha repu de sagesse. Songeant sans doute aux lointains guerriers d’argile dans les travées de l’empire d’un mort ; empreinte fossilisée d’une monstrueuse folie en marche vers les portiques du néant. Armée d’orphelins dépouillés de leur âme et dressés dans leur superbe creuse, admirables fantômes des exploits consignés dans le dogme des vanités ; réincarnation glaiseuse d’un orgueil ébloui, gardant la poussière d’un improbable tombeau.
O que s’arrête, rien qu’une heure, le cours des turpitudes et des vénalités !
Le temps de boire les soifs de beauté dans la sombre laque des pupilles où dansent les feux mouillés d’une trouble tendresse.
Mouvance des mains, mouvance des corps, chorégraphie des mimes subjugueurs sur la scène des abandons consentis, le charme emprunte les chemins d’une langue sibylline pour réduire la raison à son lit de jouissance.
Séraphiques vénustés, sentinelles d’une Chine éternelle, officiant au seuil d’un éden qui surpasse les splendeurs de la Cité céleste dans ses ordonnancements lithiques et de santal…Cette nuit sera un fleuve de purs diamants où s’abreuvent les dieux de toutes les félicités !
Sous les figuiers faiseurs de rêves
et la mollesse des abandons serviles
le vieil Anglais qui fut mangeur d’opium
étalait l’offrande de ses grêles os
au brasier de Midi-purificateur
Les paupières pellucides en persiennes
le regard arrimé aux rives d’un lointain azur
et tout à la songerie des temps fameux
où les zéphyrs enfantaient la douceur de vivre
dans les palmes d’un empire tropical
Sous les figuiers porteurs de fruits amers
coule une fontaine de thé vert
La servante au galbe chantourné
libre chevelure et capiteuses effluves
chantonne la mélodie lascive
des natives d’amours enamourées
Le gravier grafigne dans les allées
et le jardinier parfume de roses pâles
les fées ailées qui murmurent dans l’air
une prosodie pour les hôtes du paradis
Sous les figuiers faiseurs de rêves
les heures se consument comme le tabac
et la mémoire s’invente une ancienne vie
peuplée d’oiseaux moqueurs et de singes rieurs
de soies flamboyantes comme les coulis de soleil
sur l’ambre des paysannes en libation
et le cuir mouvant des pachydermes
peuplée de palais marmoréens et de sucre d’orge
où des courtisanes mangeuses de pierres précieuses
éventent la paresse des princes en pagne
Sous les figuiers infusent les jours dénudés
jusqu’à la chair suffocante de l’été défaillant
au pied d’un océan de langueur
Le vieil Anglais – qui avait appris le français
sans accent au cœur de l’antique Albion -
pensait à haute voix aux jardins
de Bangalore et de Pondichéry
où la volupté naissait sur un lit de fleurs
et où la mort ne pouvait se concevoir
que dans le sourire d’un dieu dansant
La caresse des courbes, et déjà l’invite au trouble des sens…
Chair de mangue exquise dans les cloisonnements du tendre,
tu ne seras plus le fruit défendu aux lèvres du désir,
là où les palmes filtrent le miel de la lumière,
là où la mer affairée à son offrande d’écume
lisse, inlassable, un lit de sable rose et de succin
aux nudités esclaves des libertés souverainement captives
Le temps est insensé où se livre la raison aux Maîtres-du-jouir
où s’évaporent les mots exsangues d’une langue devenue inepte
à dire la transparence de l’heure en son abîme de tempérance
Affranchie des mimétismes, dans l’éblouissement d’un jardin hiératique,
la main naïvement prodigieuse enfante un absolu
sur la scène d’une genèse si calme, si langoureuse, si lénifiante
et les couleurs de l’épure, épanouies en un usage révélé
Rêve des rêves certes, mais sous une peau si suave !
La toile des jours immobiles imprégnée des tropiques libidineux
embrase les ombres paresseuses dans la luxuriance des fruitiers
Voici un don qui sied aux dieux que de peindre les natives exaltées
chantant la rumeur de mer qui court dans les veines du plaisir,
à sa plus forte emprise, à son abandon suprême, à son plus grand éclat !
Et peuvent enfin mourir tous les possibles dans un bonheur accompli…
Quand la nuit est lourde comme un astre de plomb,
J’ai le corps glacé au blanc des néons.
Et j’entends grincer les bandonéons,
La scène de l’hiver qui va se lever.
J’ai le corps heurté à coups de klaxons,
Mon âme qui dit non au matin givré,
Aux voix murmurées, aux bruits des talons,
Des moteurs qui font des gribouillis noirs,
Aux migraines des phares en murs de prison,
Aux questions du temps, aux cisailles du vent,
À l’odeur qui colle d’essence et pétrole.
Et je vois tout près -les yeux grand ouverts-
Je sens dans ma chair le sommeil sucré
Des autres roulés dans leurs draps bleu vert,
Tout près, moi qui erre, le souffle serré.
N’écris plus, ne crie plus
Ne dis plus rien
Mange ta peine
Demain, tu ne seras plus rien
Range la haine
Où je t’emmène
Elle ne te servira à rien.
Viens avec moi
Chevaucher les étoiles
De l’extrême
Mange ta peine
Ne dis plus rien.
Le silence te garde
Bien à l’abri
Tu me souris
Il y a la nuit
Qui te regarde.
N’écris plus, ne crie plus
Ne dis plus rien
Mange ta peine
Demain ne sera rien.
Jette ta gêne
La dire ne servirait plus
A rien.
Reprends avec moi
Ce qui fut un chemin
Mange ta peine
En gardant bien ouverte
Ta main.
Je regarde tomber la pluie
Le vent souffle, les arbustes ploient
Les dernières fleurs sont toutes flétries
L’automne fait glisser ses doigts
De quoi allons nous parler alors que l’été s’étiole
L’automne saura-t-il assez nous habiter ?
Derrière la fenêtre les feuillages s’envolent
Aurons-nous toujours un toit pour nous abriter?
Je regarde tomber la pluie
Le vent souffle, un foulard vole
Les fleurs n’ont plus d’habits
Les pétales tous horizons s’envolent
L’hiver qui approche ne sera t-il qu’un cri?
L’automne est là qui nous étreint
Derrière les carreaux, je vois tomber la pluie
Le ciel tout entier semble éteint
Je regarde tomber la pluie
Elle est drue et battante
Le ciel est immensément gris
Des beaux jours, je suis dans l’attente.
Le soir tombe comme un habit de mort
Le soleil n’a brillé que par son absence
La pluie et le vent nous éloignent du port
Dans mes rêves, vous y cheminiez en silence
Je regarde par la fenêtre
La pluie n’a de cesse de tomber
Demain le ciel sera bleu peut-être
L’automne a dévoré l’été.
Poète marchand de nuages dit Baudelaire
Et moi j’avais longtemps gardé la tête en l’air
où flottaient des anges crépusculaires
en aubes bleues et tendre rose
Tu as illuminé la poésie des couleurs
de cette sublime candeur
et même les mystères de la foi
que l’on retrouve quelquefois
sur les murs glacés des cathédrales
Enfant des tremblants miracles
qui transforme les morts-vivants
d’un monde insignement insignifiant
en bergers d’une moutonneuse féerie
je m’émerveille de ton bestiaire
qui anime mes insomnieuses nuits
J’aime surtout le coq flamboyant
échappé de la grande pâque russe
qui vient picorer la descente émaillée
de mon lit de fleurs orphiques
Et puis l’âne sacré de la Bible
portant docilement mes vierges amours
par-dessus les toits de la ville
jusqu’aux jardins éthérés d’un nouvel Eden
Dans les bourdonnements du jardin orchestral, les pas cristallins de l’archange solitaire, semant l’heure pianistique d’une si claire confidence ; allée des désirs gracieux, entre les topiaires ciselés de la mouvance des archets, les fontaines en pluie de lumière, dans la ronde de flamboyantes couleurs…
Et dans la rosée, la phrase du bout des lèvres humectée, offerte à l’instant élu qui s’étonne pourtant de sa propre conception ; majeure épanouie dans le bouquet des profondes simplicités, qui emporte le cœur dans les commotions de la beauté.
Intime pudeur en quatuor où se mire la nostalgie d’un astre inaccessible. Le fuseau des cordes pour esquisser les traits d’ombre qui souligneront dans la profusion de lumière, les flots de la ligne pure. Ici se transcendent toutes les misères dans une ingéniosité si limpide qu’elle nous restitue la dentelle des émois.
Haute couture de soie, de broderies, de volutes, et le sourire congénital à cette légèreté précieuse découpée dans le vif du ciel, là ou le séraphin garde la porte du paradis. Labiales des sens en consonances de douceur et d’allégresse : infinie variation de la même essence, du même parfum charmeur, dans l’alchimie de la mesure et des sons.
Derrière la transparence des voiles vibrent les charmes exquis, fardés de pudeur.
Enfant de l’art identifiable entre tous les sortilèges bienheureux. La tristesse même n’est qu’une vaporeuse évocation dans cet éternel printemps !
Quand j’ai vu ta beauté
Sur le pas de ma porte,
Ma raison était morte,
Mon angoisse, oubliée.
Ton visage raffiné
Avait une présence forte,
L’homme te faisant escorte
S’en trouvait effacé.
Tel qu’on me l’avait dit
Tu avais la gueule d’ange
De ces mannequins étranges
Des vitrines de Paris.
Comme un chat dans la nuit
Tu avais l’œil qui change,
L’iris fait d’un mélange
De ciel bleu et de suie.
Elégant, l’air hautain,
Tu entrais comme l’enfant,
Un peu tendu, distant,
Mais lent comme le félin.
Sans geste, regard en coin,
Tu t’assis calmement,
Tu parlais rapidement,
Voix claire et l’air serein.
Noyant tes arguments
D’un discours incertain,
Tu devenais soudain
Friable et attachant.
De ton sourire, surgit
Comme un tir lumineux
Qui me découpe en deux,
Ton mystère me détruit.
Mais déjà tu t’enfuis,
Héroïque et gracieux,
Mince, aux muscles nerveux,
Rassasié, hors du lit.
Et c’est comme du poison
Qui m’atteint et je pleure
Au souvenir d’un bonheur
Qui s’envole au plafond.
Seul le silence répond
À ton parfum qui meurt
Sur l’oreiller à fleurs
Qu’avait creusé ton front.
Mer
mer génésiaque,
mer de certitude absolue,
mer accourue du tréfonds des âges sonores,
mer nourricière des hautes colonnes ecclésiales,
mesure à mesure, exacte houle et houle exultante pour clamer la joie juvénile, pour proférer la foi festive ; houle portée parfaite par le peuple des anges dans les feux du prisme musical… Ah les croisées de ces lignes si pures à nouer et renouer les cordes exaltées dans la tessiture de la trame tenace ! Houle encore battant l’éblouissement de ses éclats à l’ouverture de la fresque céleste…
Mer matrice mathématicienne, enfantant le soutenu à l’infini, et pas de pèlerin dans les registres de la voix humaine, sûre du chemin à parcourir dans la résolution de l’âme première; l’entrain singulier et pourtant si simple surpasse la cadence des légions césariennes. Cette allure a déjà conquis tous les modes et marche encore dans son inlassable transgression.
Clameur en chamade cuivrée, ourlée de lèvres en épousailles d’une même modulation ; entrelacs de la langue dans les couleurs processionnaires ; lignes ascensionnelles du discours vers le sublime sacré.
Dans la palette des émois, la tessiture du hautbois cursif ou la chaude parole d’un cuivre déclamatoire sculptant une métope en mode dorique.
Bientôt l’équilibre bienheureux dans le suspens des phrasés, et l’élévation de l’âme en plénitude, quand l’harmonique prolonge son arrêt sur cœur.
La symétrie d’Apollon-concepteur tient le monde sur une corde chantante si longue qu’elle unit Hildegarde et le cantor de Leipzig dans une même offrande musicale… O plénitude !
Bruissante forêt aux dix mille fûts, aux cent espèces et aux rares essences ; tous les vents du monde y insufflent une sève vivifiante et les timbres de la console peignent les voûtes des chapelles intimes.
S’élance la phrase exclamative, essentielle issue d’un livre sacré, des antiques vérités, et de la grammaire grégorienne ; s’élance dans l’ample creuset de la partition en fugace cheminement, prestement suivie de ses ombres gigognes dans la déclinaison d’une irrévocable assertion. Des multiples reprises des fondations s’élève une brodeuse architecture et le doigté aérien file la toile dans l’allégresse irrésistible du métier.
Nef dans la nef, proue colossale, proue vertigineuse à l’aplomb des introïts solennels ; au lever de la tempête, dix mille bouches d’une seule voix jubilante, pour emplir les abîmes de la méditation achevée, la parole révélée, d’un même élan jusqu’aux croisées d’ogives !
Dans les rondes majeures, la solennité d’un arc-en-ciel, puissance du souffle à son tremblement ; double quarte qui s’oublie dans une infinie et éternelle acception, dans une infinie et éternelle vérité… Dense félicité en résonnance d’un point d’orgue monumental !
Au lointain de perfection, des portes d’or s’ouvrent sur une transfiguration.
Et puis la sous basse en sourdine pour sonder les mystères de la foi ; âme esseulée courant des travées imaginaires, fidèle aux mains inspirées dans le fleuve d’une écriture improvisée. Ces chemins aventureux franchissent pourtant des terres de connaissance vers un lointain si dense qu’il chante une prière.
Primesautière allégresse des arabesques dans l’exploration de toutes les possibles légèretés de la perpétuelle invention…Sensualité des timbres en duetto enlaçant des colonnades manuélines ; et puis halètement, course folle, danse joyeuse de l’âme éprise de tant d’efflorescence.
Dire et redire encore dans toutes les langues chantantes la Babel musicale incessamment ressurgie de ses ondes : la voici illuminée de tous ses feux, la voici dans sa chape orchestrale aux glorieux éclats. Magnificat !
O joie grandiose, libre effervescence dans les flots ininterrompus de l’œuvre vivante !
Lignes de beauté incommensurables !
Mots sans voix. Perles de l’absence.
Il crépite, le clavier source,
Les précipite dans leur course,
Plaque leur noire incandescence
Aux fenêtres sans ouverture
D’un petit écran fabuleux.
Mots sans voix. Mots silencieux.
Je vois leurs lignes d’écriture
Alternées, colliers de pensées.
Mots sans pudeur, gorgés d’images.
Leur caresse lève un nuage
De souvenances condensées.
Sans la voix reste son écho.
Tout notre monde est dans les mots.
(Premier prix de poésie en 2010,
pour l’association M’Arts Mots Culture, à Saint Geniez d’Olt.)
Un vieil homme et son fils, au rivage marin,
Epanchaient dans les flots une insondable peine
Et les vagues de l’âme, à la source sereine,
Abondaient les embruns ruisselant de chagrin.
Le ventre de la mer engendre le mystère
Du rire de l’enfant aux sanglots de la mort,
Du projet de départ au non-retour au port,
D’une femme endormie en son lieu solitaire.
La vie ocre son cours lorsque le cœur se fend
Et le père énonça sa volonté dernière
Pour qu’à l’heure où son corps serait mis en poussière,
Il rejoigne l’aimée au lit de l’océan.
Mais quand le glas sonna le chant des funérailles,
Deux colombes sur l’onde et l’air épanoui,
L’une vers l’autre, allaient, le regard ébloui,
Pour, d’un ultime envol, sceller leurs retrouvailles.
Modernité à ton épopée d’un nouveau siècle
je ne chanterai pas tes charmes et tes hérauts
car je te hais, société du paraître en clinquance !
Sonnant et trébuchant la monnaie de singe
de tes agitations dans le cours des temps à reculons
Chair dépenaillée des jours fileyeurs charriant
leurs flots d’ombres momifiées dans des fleuves de bitume
dans les boyaux fétides des mégalopoles
à la vitesse intenable des diarrhées incurables
Légions de spectres mutilés étudiant leur errance
dans les soigneuses allées de hangars rutilants
où s’apprivoise la hâte à nourrir l’inanité de l’être
de la richesse de son néant.
O frères de misère absolue !
L’œil est dans le salon et regarde Zombie
Dans le carrousel aux fraîches images
des sourds jacassants font la leçon des choses
à des muets hébétés prenant la mesure
d’un monde à l’aune de leur duplication
« - A l’étranger, rien ne va plus en terre africaine :
le roi Moult-Fêlé qui règne en maître absolu
a répudié sa huitième épouse accusée
de fomenter un coup d’Etat au bénéfice
de son amant qui a été passé par les armes ! »
De notre correspondant permanent Nestor Voitou
« -En France, le président de la République
a brisé un miroir en voulant raser de près
le flot de vérités qui envahissait son esprit »
De bonne source, mais non rendue publique.
L’œil est dans la vitrine et regarde Zombie
Qui a coupé les têtes du dieu Chronos ?
Sans passé et sans avenir le présent agonise,
vidé du sang des lumineuses signifiances
Voici l’instant impérial consacré
sur l’autel de toutes les jouissances ;
Sodome et Gomorrhe perpétuelles licencieuses
gavées de l’objet tangible de tous les désirs
Homme et femme androgynes d’une même solitude
partagée dos à dos dans le sursis de la méfiance
Homme et femme au regard louchon
s’enivrant à l’abreuvoir du Veau d’or
se nourrissant des chairs de leur image même
et livrant à la fulgurance des messageries
l’indispensable bégaiement de leur pauvre histoire
Zombie n’a pas fermé l’œil de toute la nuit
O Guillaume ! Je chanterai la chanson du bien-aimé
sur le pont de mes rêves prolifiques, de mes songes bâtisseurs,
sans tour Eiffel, sans automobile et sans aviateur
pour peupler le paysage des beautés fanées
qui subjuguent les âmes simples depuis l’aube des temps ;
sans calligrammes en échafaudage pour blanchir
les horreurs urbaines enfantées par un indomptable Moloch.
Je me laisserai bercer de mots en notes fredonneuses,
en strophes liées comme les épis moissonnés
sur le flanc des jours familiers et si clairs ;
si clairs qu’ils suffisent à éteindre l’orchestration
convenue de toutes les médiocrités rabâchées
par la congrégation des nouveaux prêtres
chargés de divertir les cathodiques âmes abandonnées.
Noël prodigue envahissant les devantures,
Nous sommes habités de liesses futures
Où point un vague espoir de gains inattendus.
O magie des jouets, des boules miroitantes,
Des guirlandes ourlant les branches scintillantes !
Ineffable retour aux paradis perdus !
Pourtant, jour après jour, les drames se succèdent,
Morts et accidentés et malades qu’obsèdent
L’échec ou le sursis d’un destin prometteur.
Aube carillonnante, allégresse mort-née
De ceux qui, retrouvant vide la cheminée,
Se disent les enfants trop chéris du malheur !
Ecoutez dans la nuit monter la violence,
Claquer les coups de feu, s’égorger en silence
De jeunes loups cruels, fous de gloire et d’argent.
Et quand tombent les gars dans l’océan des sables,
Les parents, les amis pleurent, inconsolables…
Pleurez aussi, car sur le monde il pleut du sang.
Noël de paix, Noël d’amour, Noël de joie,
Noël… Ce tout petit Enfant qu’il vous envoie,
Le laisserez-vous seul et nu, sans un égard ?
Ne fermez point vos yeux à ses deux mains tendues,
Mais que de votre cœur les moissons répandues
En réchauffant ses doigts, éclairent son regard !
Elle avait pris la main de l’enfant intrépide
Et poussait doucement la porte du lieu saint
Pour tenter de combler l’irréparable vide
Que creuse le départ d’un bien-aimé défunt.
Dans sa désespérance et le cœur invalide,
Elle cherchait la paix allégeant le chagrin
Cependant que l’enfant, du vitrail translucide,
Poursuivait du regard les couleurs au grand teint.
Les rouges et les ors illuminaient l’abside,
Les bleus et les grenats, irisant le lutrin,
Profilaient mille éclats d’apparence fluide
Que la nef enchantait en un tableau divin.
Puis il perçut au sol, sur la pierre rigide,
Un kaléidoscope évoquant au gamin
Un ballon lumineux que, d’un geste rapide,
Il voulut attraper dans le creux de sa main.
Mais l’ombre de son bras, un peu gauche et timide,
Fit disparaitre alors cet objet cristallin
Qui l’avait invité d’une façon perfide
A savoir qui, des deux, était le plus malin.
Elle reprit la main de l’enfant intrépide
Et repoussa, sans bruit, la porte du lieu saint
Avant de s’engager sur le chemin aride
Que creuse le départ d’un bien-aimé défunt.
Grêle et grelottante compagne
libératrice des insomnies
pétrie de la chair des silences
monocorde mea culpa émergé
de la nuit des temps immémoriaux
chantant a cappella la litanie
des solitudes aux fraîches matines
la cloche égraine son chapelet têtu
de croches prolifiques
Midi carillonneur exalté
de la grand’messe endimanchée
à toutes volées de vierges robes
dans le solennel débridement
de Pâques et des printemps hiératiques
Confrérie de dames rieuses
aux éclats de cœurs festifs
c’est toute l’enfance qui bourdonne
dans la languide somnolence des jours
Et quand mai lentement s’étiole
au soir des fatigues géorgiques
et des ombres aux ruelles esseulées
les Parques enfileuses de sons
sur le fil des heures trépassées
à l’unisson doucement se lamentent
dans la partition insondable des nuits
Annonce faite aux mémoires étales
qu’il sera toujours temps de mourir demain
Pas dans la neige mord dans la terre.
Grondement d’orage, c’est l’avalanche.
La foudre éclate. Claque la pierre.
Aussi, comme elle, craque ma phalange.
La pluie qui fait un bruit de feu.
Le feu qui frappe en bris de pluie.
La pluie crépite comme fait le feu
Qui valse, oscille comme la pluie.
Tous en un, les sons, tous les bruits
Quand on s’approche du corps des cieux,
Quand on touche la peau de sa nuit
Et que fondent nos élans gracieux.
Plus on sait qu’on est fait de rien
Plus l’urgence est de grandir ça
Et plus les bruits se fondent en un
Plus chacun est un monde en soi
Quand tout s’emmêle à force de voir
Tous ces liens que personne n’entend
Qui font goûter une bouillie noire,
On sait qu’on touche l’âme du vivant.
L’écriture a ses grands, de style suranné,
Les manuscrits d’antan, l’or des enluminures,
La noblesse de plume aux illustres griffures
Qui sublime le grain d’un parchemin tanné.
L’école cultiva l’art mineur, contourné,
Des pleins et déliés, délicates figures,
Le typographe arma d’humbles fioritures
Les livres de papier, captant l’œil étonné.
La lecture est transport. Le sens touche l’esprit
Par la grâce du voir, par l’aura de l’écrit.
Sans la source du jour, d’où viendra l’étincelle?
D’un carton bosselé, grêlé de points adroits.
Braille voulut sentir les fleurs intemporelles
De la littérature éclore sous ses doigts.
Septembre 2012
(Deuxième prix, section SONNET,
décerné par l’association Arts et Lettres de France en 2013)
Une enfant que le sort frappait cruellement
Découvrait qu’au village, avec sollicitude,
Chacun voulait combler sa perte des parents
En chassant de son cœur l’infâme solitude.
Pour grâce, la fillette offrait ses petits bras
Dans de menus travaux et, sagement discrète,
Elle œuvrait au labeur sans faire d’embarras
Pour ne pas révéler son épreuve secrète.
Ainsi faisant, la vie avait repris son cours
Et, dans chaque maison, la couche inoccupée
Permettait à l’enfant, sans quêter un secours,
De s’endormir en paix unie à sa poupée.
Son tissu de coton et d’éponge-douleur
Nourrissait, chaque soir, son amour pour sa mère
Qui, les doigts repliés sur un fil de couleur,
En petits points de croix, l’avait cousu naguère.
Puis vint la saison chaude et le chef de tribu,
Craignant la sécheresse au pouvoir maléfique,
Put convaincre les dieux d’offrir un sol herbu
En échange d’un gage ou cadeau magnifique.
Des villageois, pourtant, aucun n’était aisé
Et n’aspirait d’ailleurs à la moindre richesse
Puisque, pour noble prix et le geste apaisé,
Il pouvait partager l’honneur ou la tendresse.
Mais, ce fut la fillette agissant de plein gré
Qui, masquant de ses mains un cœur en ecchymose,
Fit don de sa poupée… alors que dans le pré,
Verdissant sous ses pleurs, naissait la primerose.