RESSENTIMENT
Sois rage, Ô ma douceur, et tiens-toi moins tranquille.
Tu réclamais l’espoir ; il t’attend ; le voici :
Un climat dangereux enveloppe la ville,
Les uns sortant la paix, les autres le souci.
Pendant que la lueur des cocktails d’or s’effile,
Sous le feu du courroux, ce moteur sans merci,
Va cueillir le débat qui là-haut se profile.
Ma douceur, donne-moi la main : viens par ici,
Près d’eux. Vois s’avancer les foules indignées,
Sur les ponts, les balcons, colombes alignées,
Surgir le privilège aboli souriant ;
Le réveil horizon venir du fond d’une arche
Et comme un long cortège allant vers l’orient,
Entends, ma chère, entends, la révolte qui marche.
Recueillement
Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.
Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma Douleur, donne-moi la main ; viens par ici,
Loin d’eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;
Le Soleil moribond s’endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l’Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.
Un bon exercice de style
Mfrance
Il est certain qu’avec un tel « support », on doit éprouver de la jubilation à écrire…
Mais…Je ne puis m’empècher de me poser cette question:
Qu’aurait pensé l’auteur de ce joyau de cette récupération?
Copier les maîtres est chose naturelle chez les peintres, en tout cas ceux qui ont suffisamment d’humilité pour accepter de copier avant de créer.
Personnellement, dans mon enfance et adolescence, j’ai fait ce travail de transposition. Malheureusement, je ne disposais encore d’aucun oeil averti pouvant mettre le doigt sur mes erreurs, car même en copiant, on commet des erreurs de prosodie, ainsi qu’en peut témoigner Marie-France. Plus tard, j’ai eu un maître qui m’a aidée à avancer et j’ai été étonnée de constater mes fautes de copiste !!!
Je pense que c’est un excellent exercice pour acquérir la technique classique avant de pouvoir s’émanciper et créer. En tout cas, Marie-France a fait un excellent travail et il faut bien sûr le prendre comme un exercice, d’où la publication du poème originel. J’ose espérer que Baudelaire aurait été plus flatté que contrarié par la démarche d’un poète qui l’a pris pour modèle !
Certes!
Mais lorsque l’on connait les réactions épidermiques qui sont celles de bien des poètes dès qu’on « touche » à ce qu’ils ont écrit…On ne peut que s’interroger sur ce qu’aurait pu ressentir Baudelaire (dont l(hyper-sensibilité est légendaire).
Tu as raison ! Même si je trouve souvent l’égo des très grands artistes bien moins développé que celui des amateurs. Mais dans le cas qui nous préoccupe, il ne s’agit pas de « corriger » Baudelaire – je pense que Marie-France ne se le serait jamais permis !!! – mais plutôt de s’inspirer d’une de ses oeuvres pour écrire un poème nouveau sur le fond. Et bien entendu, il n’est pas question de s’approprier la paternité de ce nouveau poème ; en ce sens, il ne doit jamais être publié séparément de l’oeuvre originale.
Les apprentis peintres copient beaucoup les maîtres (sans avoir toujours l’honnêteté de le signaler…) ; la démarche ici est la même, sauf qu’en écriture, la copie intégrale n’apporte rien, il faut bien changer quelques « trucs » pour que le résultat soit productif et aide l’apprenti poète à acquérir une technique.
Bien sûr, et le fait de m’interroger sur l’éventuel ressenti de Baudelaire ne portait pas sur une quelconque correction mais bien sur une « appropriation » de la forme (car elle est trés évidente en l’occurence)pour, finalement, juste inverser le fond.
Bon: je comprends que Marie-France ait (je vais être un peu directe) « pris son pied à surfer sur Baudelaire »…
Mais j’espère que cet immense poète ne s’en est retourné dans sa tombe.
non, Joëlle, il me l’aurait dit…hihi…je plaisante
C’est très instructif en tout cas de s’inspirer d’ un maître pour s’entraîner.
En l’oocurrence, ses changements de rythme, sa façon de rythmer ses vers
Pas toujours d’hémistiche « ma douleur, donne-moi la main ; viens pas ici »
ça apprend des trucs.
Il est bien certain que , pour ce qui est de l’enseignement, tu pouvais difficilement trouver mieux!
(J’aime beaucoup ton sens de l’humour, Marie-France! et je pense que, là où il est, Baudelaire n’y est pas insensible non-plus!)
Eh oui Joëlle, un beau modèle en effet
j’apprécie aussi le tien…
C’est ma foi une bonne idée de chercher de nouveaux chemins pouvant aider à développer la créativité, et je souscris pleinement à cette démarche.
Toutefois, s’agissant de reprendre des œuvres existant et de les remettre à « notre sauce », je suis plus prudent, ayant eu notamment pour maître Charles Baudelaire, qui m’a introduit à l’art du pantoum (faux pantoum, certes, mais ô combien admirable dans « Harmonie du soir » ) et Gérard de Nerval. J’aurais pour ma part la sensation d’être un peu « sacrilège » en transformant des vers de tels poèmes, mais c’est une pure question de sensibilité qui n’engage que moi. Et je peux souscrire à ce que tu proposes, Marie-France, en le prenant comme une sorte de jeu de construction ordonné dans le sillage de l’esprit d’un grand auteur.
Autrement, c’est assez incommode, et en lisant ta poésie « transformée, j’ai rencontré quelques difficultés. En effet, en passant à l’analyse du texte, je me suis rendu compte que si la métrique est respectée, pouvant accréditer la thèse de vers classiques, la syntaxe, en revanche, en souffre, ce qui est tout à fait hors règles et hors licences.
En effet, dans le premier quatrain, le dernier vers n’a aucune attache grammaticale, car le sujet « les uns » ne se rapporte à rien. La proposition qui contient ce pronom devrait être normalement juxtaposée au troisième vers, qui contient quant à lui un sujet au singulier (un climat dangereux) alors que « Les uns » est au pluriel. Donc je me suis perdu dès le 4ème vers.
Je trouve par ailleurs un enjambement entre deux strophes (4ème vers du second quatrain et 1er vers du premier tercet) avec « Viens par ici, près d’eux ».
Si l’enjambement est toléré à l’intérieur d’une strophe et entre deux vers consécutifs, à condition de ne pas en abuser, il est en revanche prohibé entre deux strophes, et il perturbe effectivement le lecteur qui cherche intuitivement une chute à la fin d’une strophe.
Mais tu vas beaucoup plus loin, Marie-France, avec un double enjambement à partir du verbe « Vois » au premier vers du premier tercet, qui se rapporte, si je lis bien, car je ne vois aucune autre solution grammaticale, à « surgir » au dernier vers, puis, beaucoup plus osé encore au point de devenir incompréhensible (pour moi en tous cas, je ne sais pas comment l’ont lu d’autres dans la forme), un enjambement triple avec le « réveil horizon… » qui ne peut être considéré comme sujet mais seulement comme COD du verbe conjugué à l’impératif « Viens ».
Le respect de ces règles de syntaxe n’est ni gratuit, ni purement conventionnel, et les libertés que tu prends à ce niveau desservent ici l’harmonie générale du poème, en faisant passer les contraintes de prosodie avant celles de syntaxe, et en obligeant le lecteur à réfléchir en cours de lecture. C’est la raison qui me fait poster ce commentaire dans l’exercice bien compris de l’esprit critique qui est toujours un gage de progression, et que nous avons énoncé à maintes reprises sur ce blog pour les personnes qui comme toi acceptent cet exercice. Je m’y prête plus que volontiers pour mes propres textes car j’en tire toujours profit.
Tu me donnes l’occasion d’appeler l’attention sur la nécessité de faire passer, avant les règles de prosodie, les règles de syntaxe qui constituent l’ossature de notre langue et une garantie de compréhension, car je suis régulièrement amené, dans les échanges que je peux avoir au niveau de l’écriture poétique, à mettre le doigt dessus.
Merci en tous cas pour cet essai courageux et cette invitation qu peut se révéler enrichissante pourvu qu’on en connaisse bien les limites
Merci Gérard pour ton commentaire également enrichissant.
Marie-France, je suis tout à fait d’accord avec Gérard qui
m’a précédé dans l’analyse de ton texte. D’autre part, au
cours de la composition, il faut penser à l’interprètation
du poème pour mieux apprécier sa valeur musicale et les
fautes possibles de synthaxe.
Quand tu reprend le vers : Ma douleur, donne-moi la main ;
viens par ici, bien qu’il se présente comme un alexandrin
romantique, il faut quand même instaurer un temps d’arrêt
pour marquer l’hémystiche et changer d’intonnation en
prononçant « la main » et refaire un temps d’arrêt après
« viens ».
Les observations concernant les règles de syntaxe faites par Gérard sont extrêmement précieuses.
Le travail réel qu’il a fourni en prenant la peine de lire avec une grande attention l’exercice de Marie-France, de lui en expliquer les tenants et aboutissants va sans doute aider plusieurs d’entre nous à éviter bien des pièges.
Ainsi l’initiative de Marie-France commence-t-elle déjà à porter ses fruits.
(Marie -France, si j’osais, je dirais que j’entends Baudelaire se marrer dans sa tombe, mais bon…)
Je te savais ouverte à cet exercice d’échange critique, et c’est pourquoi je me le suis permis. Néanmoins, je te remercie de ta réaction, car ça n’est pas évident de voir un texte qui a mis en oeuvre l’intelligence, la sensibilité et le coeur, analysé par un tiers sous cet angle critique.
Il est pourtant le seul possible pour avancer, si toutefois nous en avons envie. Et c’est l’une des chevilles de l’amitié. Puisque tu as pris un exemple chez Charles Baudelaire, (un ami de longue date…)tu n’ignores pas sa formule d’introduction aux « Fleurs du mal », (titre scandaleux s’il en est pour l’époque) : « Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère ». Enlevons l’hypocrite qui se comprend dans le contexte quasi victorien de l’époque, et gardons le reste ! Car c’était l’essentiel de son message !
Oui Joëlle, par ton biais j’ai eu l’ »aval » de Charles…
A quand celui d’Aragorn, Rambo et Jacques Très Vert…hihihi…
il faut bien rigoler un petit peu…
Trèves de plaisanterie, vos commentaires avisés, Gérard et Jean Jacques sont instructifs, merci