Grand-Mère ne commençait jamais la journée sans sa croix d’argent qu’elle frottait contre son gilet en riant.
Quand elle ramassait des mirabelles parmi les herbes piquantes, on voyait son ourlet retroussé à la hauteur de ses genoux et la dentelle jaune de son jupon.
Le matin, très tôt, je me cachais derrière la porte pour la regarder. La brosse noire lissait ses longs cheveux blancs: « cent fois, conseillait-elle souvent, pour les rendre plus brillants. » Un frémissement ondulait au creux de ses reins et une expression étrange l’habitait dans le miroir: les yeux profonds, la bouche entrouverte.
Je me souviens d’elle, penchée au-dessus de la bassine où elle lave les haricots: ce sillon bleu entre ses seins me fascine.
Le soir, Grand-Mère s’amusait à me montrer ses mains ridées sous la lampe: « Que je t’apprenne à lire toutes ces lignes de vie… » Et moi, envahie par une peur sourde: comme elles sont frêles ses veines brunes qui s’entrelacent à fleur de poignet…
On suivait Grand-Mère dans les champs
L’air mêlait des voix mystérieuses
Les mirabelliers acquiesçaient dans le vent
Les insectes vibraient
Les petits animaux se précipitaient pour nous confier les rêves inavoués des sous-bois
Les cailloux s’en étonnaient
Et quand un nuage s’avançait, la bedaine lourde de pluie:
« Le soleil nous fait une farce. » souriait Grand-Mère.
Une fin d’après-midi d’été, les traits tirés, Grand-Mère nous souffla: « Jouez sans moi ».
Elle désirait se reposer plus qu’à l’accoutumée.
Nos espiègleries ne l’accompagnèrent pas à la porte de sa chambre.
Elle ne réapparut pas pour le dîner.
A partir de ce soir-là, je cessai de converser avec le bel oiseau d’or qu’elle épinglait sur son coeur.