L’homme qui aimait l’Homme, honneur à son pays,
Quand il chantait « Ma France » à en tirer les larmes,
Il se battait sans cesse avec pour seules armes
Un idéal d’enfant bousculant les partis.
Il me venait ce matin en apprenant le départ de jean Ferrat, ces quelques vers malhabiles et bien réducteurs, alors que j’entendais au fond de ma mémoire sonner cette chanson, ce cri, « ma France ».
Je regardais nos deux petits enfants que nous avions pour la jourée, je scrutais l’avenir, et j’entendais encore Aragon, comme un puissant remugle :
« Un jour portant un jour viendra couleur d’orange,
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche »
A l’heure où les grands idéaux, les grands rêves d’humanité, celle que l’on voudrait si fort sentir tirée « vers le haut », vers son point oméga de réussite comme le voyait l’un de mes maîtres, ont laissé place aux marchands du temple, aux pays, aux cultures vendues aux sphères financières anglo-saxones dont le profit est le seul moteur, écrasant philosophies et morales, piétinant les dignités, la disparition de Ferrat signe un jalon, celui de la mort et du renouveau, comme un instant entrouvert sur tous les possibles.
« Le poète a toujours raison, qui voit plus loin que l’horizon, et l’avenir est son Royaume,
Loin des vielles malédictions, je déclare avec Aragon, la femme est l’avenir de l’homme ! »
Alors la porte s’entrouvre, sur le « tout est encore à faire », loin par exemple des femmes androgynes et prédatrices qui pensent que l’accès à la stupidité des hommes est une conquête. Les yeux d’Elsa brillaient d’un autre feu ! Et ce feu est bien là, en plein cœur de Ferrat, dans les yeux de « sa môme », qui travaille en usine, à Créteil.
Si Ferrat s’en va, il nous laisse tout, et Aragon, le génie poétique insondable d’Aragon actualisé en son siècle, au cœur des tourments de son siècle :
« Pablo mon ami qu’avons-nous permis
L’ombre devant nous s’allonge s’allonge
Qu’avons-nous permis Pablo mon ami
Pablo mon ami nos songes nos songes
Nous sommes des gens de la nuit qui portons le soleil en nous
Il nous brûle au profond de l’être
Nous avons marché dans le noir à ne plus sentir nos genoux
Sans atteindre le monde à naître » …
Cela peut paraître sans doute paradoxal de rendre un hommage à un poète avec les textes d’un autre. Tout le mystère est là, de la grande humilité de l’artiste qui a finalement réussi, et c’est un exploit, d’immortaliser Aragon au cœur de sa vie même, de le porter plus loin, encore plus loin, toujours plus loin, comme une mission sacrée à laquelle il a obéi, montrant ainsi l’inégalable grandeur de savoir être petit et se mettre au service de ce qui nous dépasse.
Que dire encore d’autre pour l’accompagner que ces vers d’Aragon, comme s’il les avait écrit pour lui, en frère :
« Rien n’est précaire comme vivre
Rien comme être n’est passager
C’est un peu fondre pour le givre
Et pour le vent être léger
J’arrive où je suis étranger »
Etranger, peut être pas vraiment…
Vous souvenez vous de ce magnifique poème qu’il à dédié à son chien, Ouralou (je ne suis pas sûr de l’orthographe), poème à sa terre, à
la Vie à l’amour dont il débordait pour tout ce qui l’entourait ?
« Ton long museau à la fenêtre,
Tu nous accueilleras bientôt »
de l’amour pour son compagnon à quatre pattes à la profondeur des visions qu’il portait sur l’humanité, rien n’a échappé à son chant, appuyé, sans aucune tiédeur ni compromission d’aucune sorte. Il le dit, le crie, et le chante :
« Je ne suis qu’un cri ».