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Archive journalière du 16 mar 2009

Saulnes

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Le temps des cerises

Le silence. Mais à mieux écouter, mais à m’arrêter un instant, j’entends la lente toccata des gouttes d’eau qui se lâchent du plafond de béton fissuré du PC des fondeurs. A droite, des armoires vestiaires rouillées, renversées sur le sol jonché de débris de toutes sortes, des chaussures de sécurité abandonnées sans leurs lacets sur un tas de gravats. A gauche, l’enfilade des douches, avec des conduites d’eau qui pendent entre les briques des cloisons défoncées et se détachent sur le carrelage encore bien blanc fiché d’un porte-savon au dessus des bacs à douche remplis de débris de vitres. Et là, devant, par la fenêtre dégarnie, la silhouette trapue et fantomatique de la centrale qui trône dans la lumière crue du matin…
Je replie mon décamètre, repose mon carnet de croquis sur une tablette de téléphone rouillée et je regarde les buissons aux jeunes feuilles s’agiter devant la porte béante qui offre au regard le massif maintenant boisé des hauts-fourneaux. Le temps semble se figer, et j’entends, comme si le vent tiède l’amenait des Cités Michel dont les fenêtres plongent sur la vieille usine (1), ce vieil air que fredonnaient le René, le Gégène «  Le temps des cerises ».
L’émotion qui monte, c’est un frisson de bonheur, loin de toute nostalgie. Pourtant, je les revois ces hommes qui prenaient leur douche après la tournée, je les revois, la « gueule au feu », je les entends crier sur le chantier de coulée et fredonner à la pause, dans la rue, ces mêmes airs qui circulaient à « la filoche » ; et, de fil en aiguille, laissant filer mes pensées, je rejoins la joie de mes rêves, je sens toute la vigueur de la vie, car dans l’inspiration inépuisable de la mémoire, je vais quelque part et je les emmène dans les projets qui naissent, parfois un peu fous, dans une incessante quête de bonheur. Sans tout ce qu’ils m’ont transmis, et qu’ils continuent à m’inspirer, je n’irais nulle part.
A quoi donc pourrait bien servir de transmettre
la Mémoire, de créer et faire vivre des ateliers d’écriture en évoquant un passé qui redevient alors présent dans nos pensées avec des accents parfois douloureux, des plaies mal cicatrisées, et de le partager si les rêves, si les projets, si les « grands moments » n’étaient pas au bout de ce fil mystérieux de l’histoire ? Ce fil, on le tire un jour, lorsqu’on a déjà « fait de la route » et il n’en finit pas de se dérouler pour nous permettre de tisser le possible de chaque jour nouveau avec les valeurs qui nous animent et dont nous n’avons parfois même plus conscience.
A revenir aussi dans ces pages sur la tragédie de la « Grande Guerre », il faut bien considérer que même si les valeurs alors partagées du patriotisme ont été récupérées à des fins inavouables, -les mêmes qui justifient les guerres d’aujourd’hui-, ces valeurs vécues authentiquement et transmises par nombre de soldats ont sans doute permis, plus de trente ans après, que la seconde guerre mondiale ne fasse pas sombrer l’occident dans la barbarie.
Si l’on regarde aujourd’hui le panorama navrant de toute une palette de hauts responsables convertis à l’idolâtrie du profit financier pour lequel tous les coups sont permis, et qui emmènent leur société vers une faillite humaine sans précédent à l’échelle planétaire, véritable insulte aux valeurs profondes de notre histoire, du pays de l’humanisme et des droits de l’Homme, on comprend que, plus que jamais, la transmission de
la Mémoire ouvrière constitue une piste de salut, un véhicule de l’étincelle qui pourrait modifier encore une fois un cours défavorable de l’Histoire.
Car c’est
la Mémoire de celles et ceux qui constituent la véritable richesse de leur temps, qui la produisent sous toutes ses formes en  poursuivant leur combat pour le progrès de ce monde que j’appelle quelquefois le monde « œuvrier », c’est-à-dire celui qui est à l’œuvre chaque jour et qui se bat pour le rester, refusant que l’Homme, force vive de l’entreprise ne soit déchu pour être désormais présenté, dans cette logique idolâtre du profit, comme un poids pour l’entreprise.
Alors, il pourra bien revenir au service de l’avenir, le «temps des cerises ». 

(1) Il s’agit du site des anciens  hauts-fourneaux d’Hussigny, près de Longwy, en cours de « retraitement » 

EDITO (paru en 2008 dans la revue de mémoire ouvrière « Au fil du fer » 




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